Françaises, musulmanes, voilées ou non : elles se racontent
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Franceinfo a récolté le témoignage de plusieurs Françaises trentenaires, musulmanes, voilées ou non. Elles racontent comment elles vivent le climat actuel dans le pays, où les attentats commis au nom de l'islam ont provoqué une défiance envers les musulmans.
Mawelle est heureuse en ce week-end du mois d'octobre 2015. Cette jeune femme de 34 ans, qui habite à Neuilly (Hauts-de-Seine), s'offre une virée avec ses deux sœurs et sa mère à Vannes (Morbihan). L'air est frais, mais le soleil brille dans la cité bretonne. Les quatre femmes, musulmanes, se baladent dans les rues de la ville, dégustent des glaces et s'arrêtent pour regarder un défilé traditionnel. Mawelle n'est pas voilée, les trois autres femmes le sont. "C'était joli, folklorique. Et puis un homme s'est mis à parler à voix haute en nous regardant : 'Ici, c'est la France, c'est la République, nous sommes chez nous !' Ma sœur ne s'est pas laissé faire, elle est allée lui parler : 'Je suis autant Française que vous !' A la fin de la discussion, le gars a dit que c'était intéressant de discuter avec nous, il avait l'air penaud."
Cette scène n'a pas étonné Mawelle. "Je sais très bien que si j'avais été toute seule, je ne me serais pas fait agresser", regrette cette juriste née en France dans les années 1980 après l'arrivée en région parisienne de ses parents, originaires d'Algérie. "Entendre ces propos me blesse tout autant. Je ne me considère pas moins musulmane qu'une femme voilée et les polémiques actuelles me touchent de la même façon." Mawelle fait référence à la controverse de l'été 2016 autour du burkini. Les arrêtés contre cette tenue de bain intégrale sont le point d'orgue, selon elle, d'un climat de plus en plus pesant en France à l'égard de l'islam, et plus particulièrement des femmes musulmanes.
Le burkini, c'est comme aller nager en tenue de plongée. L'interdire est un prétexte de plus pour attaquer la communauté musulmane.
Mawelle, qui "fait le ramadan, mais pas la prière", a beau ne pas être voilée ni porter le burkini, elle se dit opposée aux mesures d'interdiction qui ont ciblé, selon elle, ses "sœurs" musulmanes ces dernières années. A commencer par la loi de 2004 interdisant le port de signes ou de tenues religieuses dans les écoles, collèges et lycées publics, assez vite rebaptisée "loi sur le voile". "Penser que les femmes qui le portent sont islamistes ou soumises, c'est être à côté de la plaque", estime-t-elle. Idem pour les musulmanes qui revêtent le niqab, cette tenue qui ne laisse apparaître que les yeux, prohibée par la loi d'octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. "Je ne suis pas d’accord avec l’argument sur l’ordre public, dit Mawelle. Qui dit que ce n’est pas moi, non voilée, qui vais me faire exploser dans un restaurant ? Les femmes qui portent le niqab le font plus par rébellion que par conviction religieuse."
"La femme voilée est censée rester discrète"
Au contraire de Mawelle, Lyna, qui vit à Nice, porte le voile depuis quatre ans. Mais elle est opposée au niqab "pour des questions de sécurité". "On ne sait pas à qui on a affaire", tranche cette trentenaire, dont les parents sont également d'origine algérienne. Mère de trois enfants, elle est aussi opposée au port du burkini : "Le voile a des conditions que certains burkinis, trop moulants, ne respectent pas. Et puis, on n’est pas dans un pays musulman. La femme qui va porter ça sur la prom' [la promenade des Anglais], tout le monde va la regarder ! Or, la femme voilée est censée rester discrète."
Nice fait partie de la trentaine de villes côtières qui ont pris un arrêté anti-burkini dans la foulée de la rixe de Sisco, en Corse, qui est venue accentuer les crispations après l'attentat, perpétré au nom du groupe Etat islamique, qui a fait 86 morts sur la promenade des Anglais le 14 juillet à Nice. Lyna a "perdu des gens du quartier" dans l'attaque au camion. Mais elle ne comprend pas le lien fait avec le burkini par les maires de la région. "Ça n'a rien à voir avec l'intégrisme. Avant, les musulmanes nageaient en djellaba. L'Australienne qui a inventé ça a juste répondu à une demande, c’est du commerce. C’est le nom qui a introduit le trouble, mais ça n’a rien à voir avec la burka."
Les images et récits de femmes voilées verbalisées sur la plage ont profondément choqué Zahira, musulmane de 36 ans qui porte le foulard depuis 1998. Sur l'un de ces clichés, pris à Nice, une femme avec un turban sur la plage est contrainte d'enlever sa tunique. "Je comprends le contexte, indique cette mère de deux enfants d'origine algérienne. Mais cette femme à qui on a demandé de retirer sa tunique sur la plage, elle n’a rien à voir avec le conducteur du camion." "Les terroristes sont des criminels. C'est comme si on nous demandait si on soutient les violeurs !"
"Interdire le burkini, c'est interdire le voile"
Ces femmes craignent une extension des restrictions faites aux musulmanes voilées en France. Assia, une amie niçoise de Lyna, trentenaire d'origine algérienne et voilée depuis l'âge de 16 ans, met en avant les préceptes du Coran : "Pour moi, la réglementation du foulard impose de se couvrir les bras, les jambes, la poitrine et les cheveux. Alors quoi, Dieu aurait disparu sur la plage ou dans l’eau et je pourrais mettre un maillot deux-pièces ? Si je ne peux pas porter le voile à la plage, alors je ne peux pas le porter dans les lieux publics."
Actuellement, l'interdiction du port de signes religieux tels que le voile concerne les agents publics dans l’exercice de leurs fonctions et les élèves de la primaire au lycée. Nicolas Sarkozy, candidat à la primaire à droite, propose d'étendre cette interdiction à l'université, aux usagers dans les administrations et aux entreprises. Quant au Front national, il préconise d'aller plus loin, ciblant la rue et les transports.
"J’ose espérer qu’on n'en arrivera pas là. C’est comme si on me demandait de me déshabiller et de me balader nue parce que c’est la coutume. Si on interdit le voile dans la rue, je prendrai beaucoup de PV !" ironise Assia. Zahira, quant à elle, regrette que les débats sur la place de l'islam en France se focalisent sur le voile.
On me restreint de plus en plus les endroits où je peux aller, pour une seule raison : le tissu que je porte.
Titulaire d'un master de recherche en bioinformatique et biostatistique, Zahira n'a pas trouvé de travail quand son mari a été muté dans une autre région. La jeune femme, qui ne souhaite pas retirer son foulard dans le cadre de son activité professionnelle, s'est présentée voilée aux entretiens. "A Pôle emploi, on m'a dit que le seul emploi qui ne poserait pas de soucis, c'était femme de ménage", déplore-t-elle.
"Ça nous ferme beaucoup de portes"
Fatma, 37 ans, n'a pas eu ce genre de problème. Cette psychologue, qui vit en région parisienne, a ouvert un cabinet en libéral, ce qui lui permet de continuer à porter le voile, comme elle le fait depuis l'âge de 23 ans. Le directeur du centre d'accueil pour enfants autistes dans lequel elle travaille également lui a aussi permis de le garder. "Il accepte les manifestations religieuses", affirme cette mère de deux enfants, d'origine algérienne.
Eya, âgée de 28 ans et d'origine algérienne elle aussi, est voilée depuis cinq ans. Titulaire d'un BTS tourisme, elle a choisi de s'adapter à ses employeurs. "Les savants [religieux musulmans] ont expliqué qu’il était possible pour les personnes qui ne vivent pas en terre d’islam de travailler sans le voile. J'ai d'abord travaillé chez un croisiériste et là, j'enlevais mon voile. Puis j'ai été embauchée par un voyagiste qui organise les pèlerinages à La Mecque. Mon patron est un imam donc je peux évidemment travailler voilée ! Mais si j'ai envie de changer, je suis de nouveau prête à retirer mon hijab", explique-t-elle.
Si on fait le choix de ne pas enlever le voile, il faut accepter d’être mère au foyer toute sa vie.
L'obligation de se couvrir les cheveux pour une femme figure-t-elle dans le Coran ? Un verset leur recommande de "se couvrir de leurs voiles" pour ne pas être "offensées". Sans préciser quelle partie du corps. "Dans le droit musulman, il y a un consensus chez les docteurs de la loi coranique autour du fait que le voile est obligatoire pour la femme. Mais étant donné qu'il s'agit d'une interprétation et non d'un verset du Coran, on a le droit de la questionner", estime Samia, une ancienne professeure d'histoire âgée de 31 ans, désormais coordinatrice européenne de la Foundation for Ethnic Understanding, une ONG qui œuvre à l'amélioration des relations entre les populations juives et musulmanes. Non voilée, cette Franco-Tunisienne au "style de hipster assumé" estime que cela ne ferait pas d'elle "une meilleure musulmane si elle le portait."
Sarah, une Toulousaine de 32 ans, ne porte pas non plus le voile. Née en France de parents d'origine algérienne, cette musulmane n'en ressent "pas le besoin" et considère que ça n'est "pas obligatoire". Mais elle part "du principe qu’à partir du moment où le voile est un choix, où il y a un consentement éclairé, ça ne pose pas de problème. Et si c’est un libre choix, on ne peut pas prétendre vouloir libérer la personne. Notre élite politique devrait sortir de sa mentalité colonialiste", lâche cette thésarde, qui prépare un doctorat sur la liberté de religion en France et au Canada.
Une "représentation culturelle"
Porter ou non le voile : Lyna, Mawelle, Samia, Zahira et les autres assurent avoir pris cette décision en toute liberté, parfois même à l'insu d'un père ou d'un mari. "Mon père a découvert que je m’étais voilée en rentrant du travail, raconte Zahira, évoquant un "choix éclairé". "Pour moi c’est une pratique cultuelle, comme la prière ou le jeûne, et non un simple signe religieux, encore moins un signe de revendication. C’est juste mon habit du dehors." Zahira, qui préfère parler "d'égalité femmes-hommes", ne se sent pas moins féministe qu'une autre dans la sphère intime.
Moi aussi, quand je rentre chez moi, je crie si mon mari ne participe pas aux tâches ménagères.
“Le voile, c’est un choix personnel, un cheminement, explique Lyna. Je n’ai pas demandé l’avis à mon époux. Quand il m'a vue, il m’a dit : 'C’est toi qui veut le mettre, hein !'." Mawelle raconte que sa sœur l'a mis pendant que son mari était en voyage à l'étranger. "A l'aéroport, il cherchait sa femme, il ne l'a pas reconnue."
Même quand il relève d'un choix individuel, le fait de porter le voile peut parfois être guidé par une "représentation culturelle", concède toutefois Eya. "J'ai grandi dans un quartier à Nice, au milieu d'une majorité de familles maghrébines et musulmanes. Il y a cette idée selon laquelle la femme pudique est plus respectée", explique-t-elle. "Beaucoup le portent aussi pour trouver un mari, observe-t-elle. La fille qui porte le voile, elle est sérieuse. C’est une façon de racheter ses péchés."
Une quête de sens
"Dans toutes les religions, cette notion de pudeur existe pour les femmes avec l’idée qu’elles sont plus fragiles, qu’il faut les protéger", relève Eya. "On sent cette inégalité femmes-hommes par rapport à nos coreligionnaires masculins", admet Zahira. Son mari, ingénieur, peut travailler sans avoir à se poser la question de se couvrir les cheveux ou pas. Mais à l'inverse de Samia, Zahira ne questionne pas le port du voile, toute scientifique soit-elle : "Dieu sait mieux que nous. Pour les féministes, nous sommes des attardées. Mais si elles savaient ce que cet 'attardement' m’apporte ! Malgré l’argent, toute cette liberté qu’on nous offre, dont on a usé et abusé, il y a un vide qu’on ressent. Une quête de sens."
"Il faut reconnaître que notre société n’offre pas grand-chose aux jeunes", observe Samia. Selon elle, plutôt que d'interdire, il faut s'interroger : "Que signifie, pour une fille de 16-17 ans qui se baladait en jeans-baskets, de mettre le jilbeb [un voile qui couvre le corps des pieds à la tête] ?"
Face au vide, elles se réfugient dans ce qu’elles peuvent.
Le choix d'être voilée est plus lourd à porter depuis les attentats perpétrés, au nom de l'islam et du prophète Mahomet, contre la rédaction de Charlie Hebdo, en janvier 2015 : "La crainte de sortir, celle du regard des autres, je l’ai ressentie, indique Zahira. Mais j’ai été manifester le 11 janvier 2015. On m’a dit : 'C'est bien que vous soyez là', comme si on soulignait le caractère exceptionnel de ma présence. Ça m’a mis mal à l’aise. Je ne suis pas qu'un voile. Je voudrais être traitée comme une citoyenne française à part entière." Depuis l’attentat de Nice, Lyna affirme se faire "cracher dessus ou insulter deux fois par semaine. On me dit : 'Rentre chez toi !' Je réponds : 'J’y vais, j’habite par là, vous voulez que j’aille où ?'”
"L'Etat a abandonné ses enfants"
"Plus on a un discours focalisé et stigmatisant sur l’islam, plus on va en faire une quête identitaire", martèle Samia. "Chez les très jeunes, c’est tendance, remarque aussi Eya. C’est une façon de trouver leur place et leur identité dans la société, une façon d’exister." Face à ce phénomène, la réponse de l'Etat centrée sur la femme musulmane voilée est paradoxale et contre-productive, selon Sarah. "Moi, je dis aux élus : 'Occupez-vous des problèmes en profondeur.' Les quartiers sont désertés par l’Etat, qui a abandonné ses enfants", indique-t-elle.
Forcer une femme à mettre un voile et la forcer à le retirer, c’est exactement la même chose.
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