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Virtual Regatta ou l'art de naviguer confiné

56 000 concurrents, dont de nombreux skippers professionnels, ont pris le départ depuis dimanche de la Transat AG2R la Mondiale 2020 sur le jeu Virtual Regatta. Cap sur Saint Barthélemy. Un véritable engouement car marins et amateurs ont besoin de sentir l’air du large et sortir du confinement.
Article rédigé par Eric Cintas
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8 min
 

Le départ a été donné dimanche dernier dans des conditions idéales. Les bateaux sont en ce moment sur l’océan Atlantique, dans le golfe de Gascogne, et font route plein sud. Parmi eux des grands noms de la voile et des personnalités embarquées dans l’aventure : Jane Birkin, Miossec mais aussi Armel Le Cléac’h ou Gildas Morvan

Pour José Messer, directeur du sponsoring d’AG2R La Mondiale, cet engouement est une belle surprise : "En tant que groupe de protection sociale, notre priorité est bien entendu d’accompagner nos assurés au quotidien dans cette crise sanitaire. Mais nous connaissons la passion et l’engagement des skippers et avons choisi de maintenir la course virtuelle. C’est une façon de partager ensemble les valeurs de la voile même si, bien sûr, nous aurions préféré voir les duos s’affronter sur l’Atlantique."

Tout ce beau monde est donc sur le jeu Virtual Regatta qui fait fureur auprès du grand public et des internautes, lors des grandes courses comme la Route du Rhum ou le Vendée Globe. Après la Grande Evasion en Mars (La Rochelle Curaçao, ouvert à tous types de bateaux) internautes et marins effectuent une deuxième transat virtuelle, sur une route plus sud, mais à armes égales sur des Figaro 3.

 

Concrètement, tous les Figaro 3 sont à Port-la-Forêt, sur des bers. Image forte et triste de ces nouvelles bêtes de courses, confinées dans les airs et même pas dans leur élément naturel. Dommage. Les regrets sont aussi pour le directeur de course, Francis Le Goff, au vu des conditions météos sur la Bretagne qui auraient généré un magnifique départ : "J’ai les boules. C’aurait été un vrai beau départ, très 'safe', avec un billard qui s’ouvre devant eux. Les conditions étaient idéales avec un vent portant pour démarrer, puis des alizés bien établis, un peu plus nord que d’habitude, qui auraient poussé les Figaro 3 dans les temps du record." (Ndlr : 18 jours 11 heures et 46 minutes 22 secondes, établi en 2018 par Adrian Hardy et Thomas Ruyant

Duos inédits mais virtuels

Allons-y donc pour un départ virtuel, avec sur la même ligne 56 000 bateaux. Un chiffre qui fait rêver Francis le Goff la nuit. Mais le directeur de course n’a aucune influence sur cette régate. Il est juste navigant virtuel avec son adjoint Yann Château, à qui il laisse volontiers gérer le tandem. "Ceci dit notre logiciel de navigation Adrena leur fait potasser la météo, les marins travaillent, moi non. Et il y a même de l'action, ce matin Jacques Caraës et Jane Birkin ont empanné juste devant mon bateau."

Jacques Caraës, dans ce duel breton, confirme : "C’est marrant je lui ai empanné sur la tronche mais il n’y a pas de contact entre les bateaux, ça reste bon enfant." L'actuel directeur de course du prochain Vendée Globe a proposé à sa célèbre voisine, Jane Birkin, de partager l’aventure virtuelle. De Paris où elle est confinée, l’actrice et chanteuse donne son accord car, installée du côté de l’Aber Wrac’h où réside Jacques, elle s’intéresse à la voile et navigue un tout petit peu. "Mais l’idée lui a plu et comme Miossec est aussi dans la course, elle y va pour qu’il y ait deux chanteurs."

Jane Birkin a un bon guide puisque Jacques Caraës a gagné la 1re Transat AG2R qui partait de Lorient à l’époque, en 1992, avec un certain Michel Desjoyeaux. Les duos dans cette transat virtuelle sont inédits, comme celui qui réunit le chanteur breton Miossec et Gildas Morvan.

 

"Je suis à Landeda, lui est à Tregana, près du Conquet, donc on est proches : deux Brestois à bord, un navigateur et un chanteur. Je gère le bateau et, avec Miossec, on va faire partager l’aventure de notre vie à bord aux internautes. Il nous prépare un solo avec sa guitare "Parlor" avant le cap Finisterre et on fera d’autres trucs pour nos amis marins, comme un concert virtuel lors de l’arrivée à Saint Barth, avec Miossec. C’est un vrai amateur éclairé de voile. Moi quand je peux, je l’emmène en mer et lui quand il peut, il m’emmène au concert. Le bateau s’appelle les Rescapés (titre de son dernier album), je lui ai proposé, ça l’a fait rigoler, on devrait s’en sortir".

Les cadors assurent

Gildas Morvan qui est un des plus grands navigateurs par la taille, a aussi le talent puisqu’il a remporté cette transat en 2012, avec Charlie Dalin. Il reste compétiteur et n’est pas que "manager" de Miossec : "On serait bien sur l’eau, mais il y a des similitudes, j’échange par sms avec Armel qui n’est pas passé loin de moi. Cette course provoque de la stimulation entre tous les gars du Pôle Finistère Course au Large. Au final on s’en sert comme d’un entraînement. Les fichiers Gribb (fichiers de données météo numériques informatisés) n’ont plus de secrets pour nous."

Cette transat se court en duo mais aussi en solo, petite entorse au règlement officiel. Le dernier vainqueur du Vendée Globe, Armel Le Cléac'h, est en solo sur cette course qu’il a remportée par deux fois en 2004 et en 2010. Pour cette édition virtuelle il est en 7e position (mardi matin).

Depuis Fouesnant où il est confiné, il y prend goût, installé à la table du salon qui sert de bureau d’école pour ses enfants : "On s’imagine beaucoup de choses virtuellement, c’est sympa. Avec la météo et le modèle américain utilisé en temps réel, on joue et on se positionne. Alors oui, il n y a pas les rafales, l’état de la mer, les manœuvres, la casse, ça simplifie quand même beaucoup de choses. Mais ceux qui y jouent à fond se fatiguent. Moi je me cale ma route pour la nuit et je dors. Je ne suis pas en mode régate. Il faut être un peu 'geek', on est là pour s’amuser et il y a un chat en ligne, beaucoup de gens me suivent car il y a une vingtaine d’Armel Le Cleac’h (Ndlr : les amateurs de ce jeu prennent souvent des identités virtuelles) qui sont contents de régater contre moi." (Ndlr : Armel a un petit ciel pour le reconnaître sur la carte.)

Entre néophytes et ambitieux

Amélie Grassi et Ambrogio Beccaria (vainqueur en Série de la Mini Transat 2019) sont confinés et colocataires. En ce moment ils auraient dû être sur leur bateau Mutuelle Bleue à tirer des bords. Mais finalement ils font la Transat depuis leur appartement de Lorient.

"Avec Antonio, on est très potes. En mer on était à l’aise sur ce projet et du coup, même à terre à Lorient, on l’est toujours. On régate toute la journée car on est un peu geek, on fait de la formation mais la page de la course est ouverte toute la journée. Le premier jour avec tous les empannages, il fallait être vigilant, on est parti dans l’ouest. On parle tactique et météo entre deux cafés, comme si on faisait des quarts. Avant la nuit, on programme les routages avec les outils qui permettent de changer de cap mais on se couche tard et on se lève tôt car on n’est pas fâchés avec le réveil non plus."

Pour ce réveil matinal, Eric Peron et Miguel Danet ont trouvé la solution car Miguel est déjà à Saint-Barthélemy, l’île d’arrivée, où il y vit et travaille dans son entreprise. Malgré le confinement, ils se relaient sur l’écran, même si ça ne plaît pas trop à Miguel. Les six heures de décalage horaire permettent au duo de se reposer alternativement : "On a envie de gagner et je pense qu’il faut être connecté H24 pour cela." précise Miguel. "Là avec mes filles de 2 ans et demi et 7 ans à m’occuper, ce n’est pas possible. Alors je laisse Eric gérer un peu plus, on se partage les tâches et je fais le job." 

Depuis Saint-Barth, Miguel a digéré la déception de l’annulation et est redevenu compétiteur, même virtuel. Avec son coéquipier breton ils avaient déjà terminé sur le podium en 2006 et 8es en 2018. Éric Peron, qui avait terminé 2e avec Erwan Tabarly en 2012, connaît la musique : "Je prends les fichiers météo et je fais les routages sur les mêmes données météo que le modèle américain. J’essaie d’élaborer la stratégie et d’en faire part à Miguel. Il y a des analyses fines à faire avec la polaire de vitesse (représentation graphique qui exprime la vitesse du bateau en fonction de la force et de la direction du vent). C’est aussi une vraie dimension tactique avec nos collègues. La première nuit, Miguel a assuré les empannages, avec des caps de direction de vent à respecter et dès que le vent changeait, hop il faisait le job avec quelques bons clics sur le clavier. Comme c’est mathématique et numérique, chaque petite erreur se paye autant qu’en mer, mais on s’amuse bien."

 

Leader de la course pendant les trente-six premières heures, Quentin Vlamynck, 27 ans, est confiné au Verdon-sur-Mer, tout près du chantier Lalou Multi. Il suit la construction d’un tout nouveau multi 50 pieds qu’il mènera sur la Route du Rhum 2022. Il a la chance de pouvoir aller au chantier et d’être devant son ordinateur, quasiment H24 sur la course. Célibataire, il se consacre donc à sa passion : "J’avais terminé 12e en Ultime au scratch de la Grande Evasion mais j’étais fatigué et je n’avais pas envie de prendre le départ. Voyant que des potes s'étaient inscrits, j'y vais car l'idée c’est faire ça bien et du coup je suis en solo, à fond, je ne lâche rien pour espérer gagner. Je vérifie toutes les heures que ça avance dans la bonne direction, j’ai peur que le vent tourne, du coup j’ai mon réveil qui fonctionne et je n’ai pas trop dormi la première nuit. A la fin, je pense que j’en aurai marre mais c’est un exercice pour moi, pas forcément un jeu. C’est l’occasion de prendre le temps de faire la météo et les routages. La nuit prochaine je risque de bien dormir car c’est tout droit et après on ira chercher les alizés en descendant au portant vers les Canaries."

 

Quentin Vlamynck est redescendu à la 4e place mardi matin, l’emportera-t-il ? Réponse dans moins de 18 jours, selon les prévisions optimistes et réalistes de Francis le Goff. Et chose promise, Miossec viendra de temps en temps régaler les internautes. Les marins eux devront attendre fin août pour vraiment naviguer, la solitaire du Figaro étant toujours prévue au programme, avec un départ confirmé de Saint-Quay-Portrieux le 29 Août.
 

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