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Euro 2016 : boules chaudes, bague aimantée et bug informatique... Quand les tirages au sort nourrissent les théories du complot

Samedi, certains supporters verront à coup sûr les preuves d'une conspiration derrière la composition des poules pour l'Euro 2016.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
L'ancien joueur russe Alexandre Kerzhakhov lors du tirage au sort des qualifications pour le Mondial 2018, le 25 juillet 2015 à Saint-Petersbourg, en Russie. (MAXIM SHEMETOV / REUTERS)

Attendez que la France bénéficie d'une poule outrageusement favorable lors du tirage au sort de l'Euro 2016, samedi 12 décembre. Quelques minutes plus tard, les réseaux sociaux vont bruisser de théories du complot expliquant comment Michel Platini, toujours président de l'UEFA, a tiré les ficelles dans l'ombre, que Bixente Lizarazu, le maître de cérémonie, a discrètement interverti les papiers où sont écrits les noms des équipes, et que tout est fait pour arriver à une finale France-Allemagne, les deux plus gros marchés publicitaires du continent. Peut-être haussez-vous les épaules, devant votre écran. Mais c'est ce qui va se passer. Comme à chaque fois.

Ni la main innocente, ni l'ordinateur n'ont convaincu

Les amateurs de foot n'ont pas attendu internet et les réseaux sociaux pour s'adonner au conspirationnisme. Dès 1938, le tirage au sort du Mondial fait des remous. Pourtant, c'est une main innocente qui désigne la Suède comme équipe exemptée de premier tour : le petit-fils de Jules Rimet, président de la Fifa, Yves, encore l'âge de porter des culottes courtes. Celui-ci a même dû se hisser sur la table pour plonger la main dans le vase où se trouvaient les petits papiers, devant un aréopage de vieux messieurs à lunettes. "Je n'avais pas effectué un tirage très favorable pour les Français", se souvient Yves Rimet, cité par la Fifa en 2004. La photo est entrée dans la légende.

Jules Rimet, président de la Fifa (à gauche) tend l'urne du tirage au sort de la Coupe du monde 1938 à son petit-fils Yves, dans la salle de l'Horloge du Quai d'Orsay à Paris, le 5 mai 1938. (AFP)

Jusqu'en 1966, le tirage au sort se déroule dans l'arrière-salle d'un hôtel, loin du grand public. Avec la télévision arrivent les cafouillages et les moments gênants. Prenez le tirage au sort de la Coupe du monde 1982, en Espagne. Les pays participants s'étaient mis d'accord pour éviter que les équipes sud-américaines se retrouvent dans le même groupe. C'était sans compter un caprice de l'ordinateur qui envoie la Belgique dans un mauvais groupe, puis l'Ecosse. Joao Havelange, patron de la Fifa, ouvre une boule, lit le nom du pays et s'exclame "ça n'est pas possible" et la remet aussitôt dans la machine (qui ressemble à s'y méprendre à celle du tirage du Loto). 

Un Sepp Blatter en sueur – il avait encore des cheveux à l'époque – doit annoncer un retirage partiel. L'affaire se terminera avec un délégué qui entre dans la machine pour récupérer une boule qui s'était ouverte. Inutile de préciser que la machine à tirage, comme l'ordinateur, ont fini à la poubelle une fois la cérémonie achevée, raconte Fifa Weekly (PDF, en anglais)

Même Sophia Loren est suspecte...

La méthode traditionnelle du tirage manuel des boules dans les saladiers n'a pas fait taire la suspicion. Lors du tirage au sort du Mondial italien de 1990, l'actrice Sophia Loren est accusée par Diego Maradona de porter une bague aimantée pour tirer un groupe favorable pour le pays hôte. "El Pibe de Oro" écope d'une amende de 7 000 dollars (6 400 euros).

En 2006, la chaîne de télévision Sky Italia accuse l'ancienne gloire de la Mannschaft, Lothär Matthaüs, d'avoir tiré des boules chaudes pour offrir un groupe difficile à l'Italie. L'ancien joueur a d'abord saisi une boule, avant de la reposer dans le saladier pour en choisir une autre. La fameuse technique des boules chauffées pour obtenir des adversaires sur mesure ? Matthaüs dément, cité par Voetbal International (en néerlandais) : "Les Italiens sont dingues s'ils croient à ça. Ça n'a pas de sens." L'Italie ayant finalement remporté la compétition, contre la France, on peut lui laisser le bénéfice du doute.

Truquer un tirage au sort ? "Rien de plus facile"

Il faut dire que les tirages au sort sont de plus en plus complexes : il ne faut pas moins de quatorze saladiers pour répartir les 32 équipes qualifiées pour la Coupe du monde 1998. Les organisateurs ont aussi leur mot à dire : lors du Mondial 1994, les Italiens et les Irlandais se retrouvent à jouer leurs matchs à New York (Etats-Unis). Comme par hasard, à proximité des plus grosses communautés italiennes et irlandaises du pays. Il faut bien remplir les stades, conclut le New York Times (en anglais)... En 1990, les organisateurs italiens avaient, eux, le souci d'éviter la contagion. L'Angleterre et les Pays-Bas, connus pour leurs hooligans, avaient été expédiés en Sardaigne pour les isoler du reste du pays. Des éléments connus à l'avance par les équipes concernées.

Le tirage au sort du Mondial 2014 a généré pas loin de quatre polémiques : 1. Deux journalistes argentins de La Nacion (en espagnol) savaient avant le tirage que l'Argentine tomberait dans le groupe F. 2. La France et l'Italie ont changé de chapeau à quelques heures du tirage au sort, la Nazionale héritant du groupe de la mort. 3. Le président de la fédération anglaise a mimé un égorgement AVANT que son équipe tombe dans le groupe de la mort. 4. Les mains du secrétaire général de la Fifa, Jérôme Valcke, ont fait des allers-retours suspects sous son pupitre au moment où il dévoilait les pays tirés au sort. Ce qui lui a valu cette vidéo d'un supporter chilien complotiste, très mécontent et nostalgique de X-Files.

Est-il vraiment seulement possible de truquer un tirage au sort ? Intrigué par la polémique, le Philadelphia Inquirer (en anglais) a demandé en 1993 à un illusionniste comment il s'y prendrait : "Rien de plus facile !", répond Jim Steinmeyer, qui a monté des tours pour David Copperfield. "On peut imaginer que des boules qui changent de couleur selon l'angle de vue, ou changer de texture. Ou alors tout simplement avoir des boules plus lourdes, qui restent dans le fond du saladier." Avec ces techniques toutes simples, les trois caméras braquées sur le pupitre du maître de cérémonie et les trois auditeurs d'Ernst & Young qui valident le tirage au sort dans la coulisse n'y verraient que du feu...

La finale France-Brésil en 1998 truquée ?

D'où vient cette suspicion généralisée, relayée par la presse ? Henk Tijms, un mathématicien néerlandais, utilise la théorie des probabilités pour apporter un élément de réponse. D'après lui, si un journaliste croit à 20% à un truquage du tirage au sort avant qu'il ait lieu, le taux grimpe à plus de 52% après avoir assisté au tirage. La suspicion encourage donc la défiance, qui nourrit la théorie du complot. Un autre universitaire, Andrei Markovits, auteur du livre How Sports Are Reshaping Global Politics And Culture, explique au New York Times (en anglais) que les pays où la méfiance envers les élites est forte sont plus prompts que d'autres à adhérer à la théorie du complot : "Je ne suis pas surpris de voir que les accusations de truquage fleurissent de pays comme l'Argentine, l'Italie et la Grèce, bien plus qu'en Suède, en Norvège ou l'Allemagne."

Au Brésil, la théorie du complot va loin, très loin. Beaucoup de gens sont toujours persuadés que la Seleçao a lâché la finale de la Coupe du monde 1998 – celle remportée par la France, si, si ! – en échange de quelques valises de dollars, un tirage clément au Mondial 2002 (il l'a été : Chine, Costa Rica, Turquie) et la promesse d'accueillir une Coupe du monde à brève échéance (en 2007, le pays a obtenu l'organisation du Mondial 2014). Seul accroc à ce plan parfait, rapporte le Guardian (en anglais) : le score. La France ne devait l'emporter qu'au but en or. Pas au courant de l'accord, les hommes d'Aimé Jacquet réalisent le match de leur vie ce soir-là et infligent une humiliation à la Seleçao (3-0), qui devra s'expliquer devant une commission parlementaire à son retour au pays. 

Il y aura toujours un doute

En France, les passionnés de foot ont en mémoire le tirage au sort des demi-finales de la Coupe de France 2008. Lyon est tiré en premier, et son représentant, le directeur sportif Bernard Lacombe, déclare au micro : "Aller chez l'adversaire, c'est toujours dur, on l'a vu hier. C'est vrai que Sedan a fait un exploit, mais jouer à la maison, c'est ce qu'on souhaitait." Sauf qu'on ignore encore l'identité de l'adversaire de l'Olympique lyonnais. La seconde boule est tirée... et Sedan sort du chapeau.


Confusion générale. Le tirage était-il truqué pour favoriser une finale Lyon-PSG ? Le président de la FFF, Jean-Pierre Escalettes, monte au créneau : "Jamais, la commission de la Coupe de France ne pour­rait truquer un tirage au sort, ce n’est pas le genre de la maison !" La justification a posteriori de l'OL sur L'Equipe.fr est plus convaincante : "Bernard Lacombe voulait dire : 'On souhaitait jouer à domicile, mais quand on voit ce que Sedan a fait...'", référence à l'exploit de Sedan au tour précédent sur la pelouse des Girondins. "On aurait eu moins de problèmes si Amiens avait été tiré au sort", soupire-t-on chez les Gones.

Maigre consolation, il n'y a pas que les amateurs de foot qui sont atteints de paranoïa. En NBA, une grande partie des fans croient dur comme fer que le tirage au sort de la draft 1985 – qui permet de choisir le meilleur jeune joueur – a été truqué au profit des New York Knicks. Pour des raisons économiques, il fallait relancer la franchise new-yorkaise avec le jeune prodige Patrick Ewing. Une enveloppe gelée glissé dans l'urne, et le tour est jouée. Ce n'est pas flagrant sur la vidéo, le general commissioner de la NBA, David Stern, demeurant impassible. Mais même l'agent de Patrick Ewing, interrogé par ESPN, ne balaie pas l'hypothèse : "Je ne dis pas que ça s'est passé. Mais c'est plausible."

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