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Vague de suicides, surpopulation... Comment expliquer le malaise grandissant à la prison de Fleury-Mérogis ?

Onze détenus se sont donné la mort depuis le début de l'année dans la plus grande prison d'Europe. Pour l'Observatoire national des prisons, la surpopulation endémique des centres de détention empêche la prise en charge adaptée des détenus fragiles. 

Article rédigé par franceinfo - Juliette Campion
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un couloir de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), le 29 octobre 2015.  (ERIC FEFERBERG / AFP)

Dix hommes et une femme. Depuis le début de l'année 2018, onze détenus ont mis fin à leurs jours à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). La dernière personne à être passée à l'acte est un homme de 48 ans qui purgeait une peine de deux mois de prison pour des faits de violence. Mardi 7 août, il "a été retrouvé vers 7 heures, pendu dans sa cellule avec ses draps", a expliqué le parquet.  

Face à cette inquiétante série, le parquet d'Evry a annoncé à franceinfo qu'une "réflexion allait être menée en septembre entre les services du parquet, l’administration pénitentiaire et les professionnels" afin de déterminer d'éventuels "points d’amélioration dans la prise en charge". De leur côté, les syndicats déplorent le manque de personnel dans le centre pénitentiaire le plus peuplé d'Europe, avec 4 500 détenus.

Onze suicides depuis janvier 

Depuis le 1er janvier 2018, la maison d'arrêt fait face à une inquiétante série de suicides. Le nombre record de victimes, onze détenus, dépasse à lui seul les chiffres de l’an dernier sur l’ensemble des établissements pénitentiaires de la région parisienne. Une enquête judiciaire a été ouverte après chaque suicide, comme le veut la procédure. Les surveillants concernés ont été entendus ainsi que les codétenus des défunts. Ces derniers ont été autopsiés. Mais les résultats ne sont pas dévoilés publiquement, ce que déplore François Bès, coordinateur du pôle Enquêtes au sein de l'Observatoire international des prisons (OIP).

On est incapable de savoir s'il y a eu des dysfonctionnements dans la prise en charge des personnes qui ont mis fin à leurs jours car on n'a aucun élément de l'administration pénitentiaire.

François Bès

à franceinfo

Face à ce manque d'information, certaines familles mettent en doute la thèse du suicide. Les proches de Lucas, 21 ans, mort le 21 juillet à Fleury-Mérogis où il était incarcéré pour trafic de stupéfiants, demandent ainsi "la vérité" sur sa mort. Le jeune homme se serait suicidé en se pendant avec un drap. Une centaine de personnes se sont rassemblées devant l'établissement le 24 juillet, scandant "assassins" et "justice pour Lucas". "Même s’il avait pris dix ans, il ne se serait jamais suicidé", affirmait l'un de ses proches lors de ce rassemblement au Parisien.

Selon François Bès, "la seule solution pour avoir accès aux éléments du dossier est de porter plainte". C'est l'option qu'a choisie le père d'un jeune homme décédé le 7 avril dans les bras de son codétenu. Celui-ci affirme avoir appelé les surveillants au secours plusieurs fois pendant la nuit. Dans un communiqué, l'OIP réclame plus de transparence face à "des morts en série qui restent sans réponse". 

Trop de détenus et pas assez de temps pour la prévention du suicide

Si les causes de ces suicides sont aussi diverses que le nombre de victimes, la surpopulation carcérale a un impact direct sur la condition mentale des prisonniers. "La question de la prévention du suicide passe par une prise en compte de l’individu, ce qui est impossible à Fleury, comme dans l’ensemble des maisons d’arrêt", déplore François Bès. Pour lui, la surpopulation est la principale raison du manque de prévention à Fleury-Mérogis, dont le taux d'occupation s'élevait à 157% au 1er janvier 2018, d'après l'OIP

"Avec un surveillant pour 90 détenus, on n'a pas le temps de faire du cas par cas avec les profils fragiles", regrette Erwan Saoudi, délégué régional FO pénitentiaire. 

On empêche régulièrement un bon nombre de suicides, beaucoup sont sauvés in extremis, mais certains passent à travers les mailles du filet.

Erwan Saoudi

à franceinfo

Pour François Bès, "il y a deux volets dans la prévention du suicide" : le premier concerne le moment du passage à l'acte, que l'administration pénitentiaire "maîtrise très bien" selon lui. Si une personne à risque est identifiée, un gardien passe systématiquement la voir toutes les heures et un "codétenu de soutien" peut être placé dans sa cellule. Il s'agit de détenus volontaires formés par la Croix-Rouge pour soutenir des prisonniers fragiles. "Mais si, en amont, on ne travaille pas pour réduire le mal-être, les gens continuent à aller mal, pointe François Bès. Or l’administration est plutôt dans la culture de la sécurité et pas tellement centrée sur le bien-être des personnes."

Le risque du "choc carcéral" à l'entrée en prison 

Parmi les détenus passés à l'acte cette année, certains étaient incarcérés pour de courtes peines. Un homme de 25 ans s'est ainsi pendu le 17 mars alors qu'il était "condamné à trois mois de prison pour 'voyage habituel sans titre de transport'", détaille Le Monde. Un père de famille s'est suicidé en avril, peu après avoir été incarcéré "pour exécuter une peine de deux mois pour 'conduite sans assurance'", selon le quotidien.

Ces primo-incarcérés côtoient au quotidien des détenus qui purgent des peines de vingt à trente ans. "On mélange tous les profils au même endroit", dénonce Khalid Hanou, surveillant pénitentiaire à Fleury-Mérogis et secrétaire local de FO pénitentiaire. 

Dans la cour de promenade, des personnes détenues pour terrorisme international côtoient ceux qui sont là pour de simples petits vols.

Khalid Hanou

à franceinfo

Face à ces "caïds", difficile selon les surveillants de protéger les profils plus fragiles. "Quand ils arrivent en prison, les détenus font face à ce qu'on appelle 'le choc carcéral'. D'un coup, ils subissent une pression énorme, un climat de violence qui peut les faire craquer", explique Erwan Saoudi. Pour remédier à cette situation, les syndicats réclament une classification des établissements pénitentiaires par profils de détenus, "dans des structures adaptées à leur condamnation", précise Ewan Saoudi. 

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