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Meurtres de Montigny-lès-Metz : Henri Leclaire, témoin redevenu suspect

Une nouvelle information judiciaire a été ouverte à son encontre après le renvoi du procès de Francis Heaulme. 

 
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Henri Leclaire à son arrivée au palais de justice de Metz (Moselle), au deuxième jour du procès de Francis Heaulme, accusé du double meurtre de Montigny-lès-Metz. (MAXPPP)

Au lendemain du renvoi du procès de Francis Heaulme, le parquet a ouvert une nouvelle information judiciaire, mercredi 2 avril, contre Henri Leclaire dans l'affaire du double meurtre de Montigny-lès-Metz (Moselle). Les autorités judiciaires ont également demandé son "placement sous contrôle judiciaire".

Son nom était jusqu'à présent inconnu du grand public. Il est pourtant cité depuis bien longtemps dans le dossier. Agé de 65 ans, le "troisième homme" est en réalité le premier à s'être accusé du meurtre des petits Cyril Beining et Alexandre Beckrich le dimanche 28 septembre 1986. Avant de se rétracter.

A l'époque, ce natif de la région est un vieux garçon, qui vit toujours avec son père à l'âge de 38 ans. "Je n'ai pas connu ma mère, elle est décédée de ma naissance", déclare-t-il mardi à la cour, qui tend l'oreille pour comprendre cet homme au fort accent et aux difficultés d'expression manifestes. Henri Leclaire travaille alors aux éditions Le Lorrain, dont les locaux donnent sur la rue Venizélos, qui longe la voie ferrée où ont été tués les enfants à coups de pierres. 

"J'y étais pas, monsieur le président"

Le dimanche, l'employé modèle a coutume de déjeuner avec son paternel au restaurant La Madelon, puis de faire un tour en deux-roues autour des bennes de son entreprise. Les enfants du quartier ont l'habitude de s'y introduire pour jouer et de semer au passage des papiers sur la route. Le week-end, Henri Leclaire effectue donc des rondes pour chasser les garnements. S'il a reconnu à plusieurs reprises être passé sur les lieux le jour du crime, confirmant les déclarations de la grand-mère d'Alexandre Beckrich, l'ancien manutentionnaire nie en bloc devant les assises de la Moselle, vingt-huit ans plus tard :

"J'y étais pas, monsieur le président.

Sauf qu'on vous a vu y aller. 

– J'étais chez moi avec mon père. Il me laissait pas sortir comme ça. Il avait des principes.

– Y a pas de quoi fouetter un chat, vous êtes quelqu'un de consciencieux, y compris le samedi et le dimanche alors que vous n'êtes pas payé...

– Moi j'ai rien vu, j'étais pas là."

En décembre 1986, Henri Leclaire est placé en garde à vue après les confidences de la grand-mère d'Alexandre Beckrich à la police. Employée comme femme de ménage chez les Leclaire, elle fait part aux enquêteurs de l'étrange réaction du jeune homme à l'annonce de la mort de son petit-fils. Selon ses propos, rapportés par le journaliste Emmanuel Charlot dans son livre Affaire Dils-Heaulme, la contre-enquête"il se met en colère au point d'en baver. Il dit : 'Les gosses, y'en a plein qui jouent là-haut et qui me foutent des bouts de papier partout et moi j'ai ordre de laisser le coin propre.'" Mardi, Ginette Beckrich confirme sa version. 

Une "affection nerveuse" et des "troubles intestinaux"

Pour sa défense, le père d'Henri Leclaire explique alors aux enquêteurs que son fils est atteint d'une "affection nerveuse. Il s'énerve parfois et a des troubles intestinaux." "Quand je m'énerve, j'ai des spasmes et ça me fait des malaises", abonde l'intéressé devant la cour. 

Après ses aveux et ses rétractations, des investigations le mettent hors de cause. Les officiers de police judiciaire relèvent des inexactitudes sur le nombre de pierres utilisées, sur les circonstances de la mort et sur la description des vêtements portés par les victimes. Lors de la reconstitution, le suspect, trop lourd, ne parvient pas à gravir le talus. Bientôt, les soupçons des enquêteurs se portent sur une autre personne, Patrick Dils, 16 ans. Passé lui aussi aux aveux, il est condamné à perpétuité en 1989.

Accusé par Francis Heaulme 

Henri Leclaire retombe dans l'oubli pendant plusieurs années. Son nom refait surface dans les procès-verbaux en 2002. Francis Heaulme, dont la présence à proximité des lieux du double meurtre permet la révision de la condamnation de Patrick Dils, met spontanément en cause l'ancien manutentionnaire : "J'ai vu un homme petit et trapu avec des cheveux courts descendre en vitesse du talus. Il est même passé à la télé." Cet homme "gros, trapu, rouge comme une tomate" lui aurait dit : "J'ai fait une connerie" et "je m'appelle Henri Leclaire". Extirpé de son box, mardi, par le président de la cour d'assises, Francis Heaulme réitère ses accusations, presque mot pour mot.

La cour d'assises de la Moselle à Metz, le 31 mars 2014, à l'ouverture du procès de Francis Heaulme.  (  MAXPPP)

Ce n'est pas la première fois que "le routard du crime", déjà condamné à l'époque pour six meurtres, en accuse un autre pour un crime qu'il a lui-même commis. Ce n'est pas non plus la première fois que le tueur en série désigne un homme qui s'avère être son complice. D'autant que ce nom, Henri Leclaire, Francis Heaulme l'a prononcé dès 1992 devant le gendarme Jean-François Abgrall alors qu'il était entendu pour un autre homicide. L'orthographe était différente (Henri Leclerc). Mais comme l'a décrypté l'enquêteur, le tueur a coutume de mélanger les affaires et de ne rien dire au hasard.

Replacé en garde à vue, cité comme témoin au troisième procès de Patrick Dils à Lyon en 2002, puis confronté au tueur en série en 2010, Henri Leclaire nie en bloc. Dans l'ultime information judiciaire, qui a conduit au renvoi de Francis Heaulme devant les assises, les magistrats estiment que ce dernier peut avoir eu connaissance de l'existence d'Henri Leclaire, et de ses aveux, via les médias. Placé sous le statut de témoin assisté, le petit homme au front dégarni bénéficie ainsi d'un non-lieu en 2013.

Le témoin redevient suspect

C'est donc en tant que simple témoin qu'Henri Leclaire est appelé à comparaître au quatrième procès qui s'est ouvert lundi 31 mars à Metz. Mais deux témoignages de dernière minute le replacent au centre des suspicions. Le plus sérieux des deux émane d'une clerc d'avocat, qui affirme avoir recueilli les confessions du retraité en 2002, alors qu'il lui livrait ses courses. Après lui avoir parlé de ses ennuis judiciaires dans l'affaire de Montigny, il lui raconte comment il a "attrapé" et "agrippé" les deux enfants qui "gênaient son travail et l'horripilaient". Selon cette femme, il entre alors dans une "colère énorme", une "espèce de transe". Il est "rouge" et il "transpire", "revit la scène" et "mime les gestes". "Je lui ai demandé s'il les avait blessés. Il m'a répondu : 'Ils ont compris à qui ils avaient affaire mais ce n'est pas moi qui les ai tués'." 

Entendu de manière anticipée dès le deuxième jour du procès, Henri Leclaire, engoncé dans son costume vieillot, répète mécaniquement : "Je ne me rappelle plus" ou "je ne me souviens plus". Son avocat, impuissant, assiste depuis les bancs du public au naufrage de son client, arrimé à la barre, empêtré dans ses déclarations contradictoires. En témoigne cet échange avec le président de la cour d'assises, Gabriel Steffanus.

Le président : "Ce qu'elle a dit, c'est vrai ?

Ouais.

– Vous lui avez raconté que vous avez attrapé les enfants ?

– Ouais.

– Vous les avez vraiment attrapés ?

– Non. Ce que j'ai dit, c'était faux. J'ai dit n'importe quoi. (...) Je ne les ai pas tués.

– D'accord, mais qu'est-ce que vous avez fait ? C'est un accident ?

– (Long silence) J'y étais pas.

– C'est un accident ? Monsieur Leclaire ?

(Henri Leclaire respire fort) Je les ai pas tués, j'étais pas là."

"Mon client raconte tout et n'importe quoi"

La défense de Francis Heaulme fustige cet "interrogatoire" mené sur un simple témoin par un président de cour d'assises. L'avocat d'Henri Leclaire, Thomas Hellenbrand, s'emporte : "Mon client raconte tout et n'importe quoi (…), il y a trop de pression." Un deuxième témoin, ancien conducteur de train, raconte ensuite à la cour qu'il a vu un homme ensanglanté - qui ressemblerait à 90% à Henri Leclaire - courir le long des voies ferrées le jour des faits. Mais son témoignage maladroit à la barre ne convainc guère et exige d'être dûment vérifié.

Thomas Hellebrand, avocat d'Henri Leclaire, à la sortie de la cour d'assises de Metz où son client était entendu comme témoi, mardi 1er avril.  (JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)

La cour préfère ainsi abréger un procès où l'unique accusé, Francis Heaulme, fait figure de potiche, s'ennuyant fermement dans son box vitré. L'ouverture d'une nouvelle information judiciaire à l'encontre d'Henri Leclaire ouvre la voie à sa mise en examen et à un cinquième procès où les deux hommes pourraient comparaître comme coaccusés. Car les charges qui pèsent contre Francis Heaulme n'en sont pas moins lourdes. "A l'aller, on vous lance des pierres, au retour, vous voyez des enfants morts. Ça, on en est sûr dans cette cour d'assises", résume le président.

Thierry Moser, l'avocat du père d'Alexandre Beckrich, suggère d'étudier la possibilité que deux personnes aient pu commettre le double meurtre.  D'autres témoignages, recueillis par le journaliste Emmanuel Charlot et qui accréditent la thèse selon laquelle Henri Leclaire et Francis Heaulme se connaissaient, restent à exploiter. "On a toujours pensé que ce crime n'avait pas pu être commis seul", confie sur le banc des parties civiles le père de Cyril Beining. Vingt-huit ans après, les familles des victimes sont prêtes à attendre encore. Pour le président de la cour d'assises, dans un dossier judiciaire jalonné de tant d'erreurs, "la vérité est à ce prix".

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