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"Il y a une culture du secret propre à l'Unef" : une journaliste raconte son enquête sur les agressions sexuelles au sein du syndicat

"Libération" a publié les témoignages de 16 militantes victimes de harcèlement et, pour certaines, d'agressions sexuelles et de viols. Franceinfo a interrogé Laure Bretton, l'une des journalistes à l'origine de ces révélations.

Article rédigé par Margaux Duguet - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le logo de l'Unef lors d'une conférence de presse sur les pratiques illégales des unviersités, le 15 juillet 2015 à Paris.  (MAXPPP)

En novembre, 83 femmes, anciennes syndicalistes de l'Union nationale des étudiants de France (Unef) avaient signé une tribune dans Le Monde pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles au sein de cette organisation proche du Parti socialiste. Quelques semaines plus tard, Libération révèle, dans son édition du mardi 20 février, les témoignages de plusieurs femmes victimes de harcèlement sexuel, d'agressions sexuelles et de viols commis entre 2007 et 2015 au sein du syndicat étudiant. Trois mois d'investigations et une quarantaine d'interviews ont été nécessaires pour publier cette enquête signée Ismaël Halissat et Laure Bretton. Cette dernière a accepté de raconter à franceinfo les coulisses de leur travail.

Franceinfo : Vous aviez déjà enquêté sur des accusations d'agressions sexuelles au Mouvement des jeunes socialistes (MJS) ? Comment avez-vous eu l’idée de travailler sur l’Unef ?

Laure Bretton : Le MJS et l’Unef sont deux satellites du PS, ce sont deux organisations de jeunesse à gauche. A Libération, pendant que l’on faisait l’enquête sur le MJS, beaucoup nous ont dit : "C’est bien de faire une enquête sur le MJS mais il va falloir aller regarder du côté de l’Unef". Donc on a continué dès la parution, mi-novembre.

Quelles ont été les difficultés rencontrées au cours de l’enquête ?

Il y en a deux sortes. Il y a celles qui touchent aux affaires de harcèlement, d'agressions sexuelles ou de viol car c’est une matière éminemment humaine. Ce n’est pas une enquête sur des détournements de fonds ou sur une entourloupe politique. Ce sont des sources qui sont fragilisées par ce qu’elles ont vécu et qui n’ont pas forcément raconté déjà leur histoire. Souvent, c’était la première fois qu’elles parlaient. C'était donc compliqué et douloureux pour elles et il faut saluer leur force de l'avoir fait.

La deuxième difficulté vient du fait qu'on travaillait sur un syndicat où les gens peuvent rester une dizaine d'années voire plus, entre leur majorité et leur trentaine. Pendant ce temps, ils passent leur vie ensemble.

Une des victimes me disait : 'En fait, on mange Unef, on dort Unef, on baise Unef'. C’est une organisation qui fonctionne en vase clos.

Laure Bretton

à franceinfo

On s’est aperçu que des gens aujourd'hui en couple avec des anciennes de l’Unef avaient pu être agresseurs d'autres femmes à l’époque. Ça, c’était très compliqué. Quand on parlait aux femmes, on ne savait pas si elles étaient avec quelqu’un qui était dans notre liste d’agresseurs ou si elles avaient pu être victimes de quelqu’un qui est maintenant le compagnon voire le père des enfants d’une de leurs amies.

Vous racontez aussi dans le making-of de l’enquête la tentative de suicide de l’un des agresseurs présumés...

Ça, c’est l'obstacle ultime, qui arrive à la toute fin de notre enquête. Avant, il y a eu d’autres choses. Par exemple, le fait que ces femmes ont appris le féminisme et la lutte politique au sein de l’Unef : elles n'ont pas forcément envie de critiquer leur organisation. C’est un des paradoxes. Il y a également une très forte culture du secret propre au syndicat. Elles ne voulaient pas que l’on se téléphone et si on se téléphonait, il fallait le faire à des heures où leurs proches n’étaient pas à leurs côtés car ils ne sont souvent pas au courant de leurs histoires.

Enfin, effectivement, à la fin de l’enquête, il y a cette procédure contradictoire qui est obligatoire quand on met des personnes en cause. On transmet des questions très précises à ces hommes pour leur donner la possibilité de donner leur version. Il nous est arrivé quelque chose qui à mon avis est sans précédent, qui nous a placés tous les deux dans une situation humaine et éditoriale très compliquée.

Un des agresseurs présumé nous a envoyé un très long mail reconnaissant quasiment tous les faits, nous remerciant de l’avoir confronté à ces actes et annonçant : 'moi je vais mettre fin à mes jours'.

Laure Bretton

à franceinfo

On arrête alors tout et on attend d'avoir de ses nouvelles. On en a eu un peu au bout de 24 heures puis de 48 heures. On a pris le temps d’avoir ce débat en interne : "Que fait-on ? Est-ce qu’on laisse tout tomber ?" On s’est dit qu’il fallait tout raconter, qu’on ne pouvait pas ne pas publier, mais en protégeant totalement son identité.

Est-ce qu’il y a d’autres victimes qui n’ont pas osé parler ?

Evidemment, il y a plus de victimes mais elles ne sont pas toutes prêtes à parler. C’est aussi une question de génération : les plus âgées, celles qui ont 30 à 35 ans maintenant, ne sont pas prêtes à raconter ce qu’elles ont vécu. On a aussi eu le cas de trois victimes qui nous ont raconté leur histoire avant de finalement retirer leurs témoignages.

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