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Hommage à Philippe Pétain : "Il aurait été délicat de l'oublier pour commémorer 1918", estime une historienne

Emmanuel Macron a jugé "légitime" de rendre hommage au maréchal Pétain, arguant que le militaire avait été "pendant la Première Guerre mondiale un grand soldat" avant de conduire "des choix funestes" pendant la seconde. Peut-on dissocier les deux périodes ? Nous avons interrogé l'historienne Bénédicte Vergez-Chaignon.

Article rédigé par Fabien Magnenou - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Un portrait du général Philippe Pétain dans "Le Petit journal", en 1916. (LEEMAGE / AFP)

Fallait-il inclure Philippe Pétain dans la liste des maréchaux de la Première Guerre mondiale à qui un hommage sera rendu, samedi 10 novembre, aux Invalides, dans le cadre du centenaire du 11-Novembre ? "Le maréchal Pétain a été aussi, pendant la Première Guerre mondiale, un grand soldat", a justifié Emmanuel Macron, mercredi 7 novembre, tout en rappelant qu'il avait "conduit à des choix funestes" pendant la Seconde Guerre mondiale.

Un hommage sera rendu à Philippe Pétain et aux sept autres maréchaux de la Grande Guerre, cérémonie à laquelle participeront les responsables militaires français. Une polémique est née de ce choix. Pour tenter de comprendre le rôle de Philippe Pétain entre 1914 et 1918, franceinfo a interrogé l'historienne Bénédicte Vergez-Chaignon, auteure de Pétain (éd. Perrin), Grand prix de la biographie politique en 2014.

Franceinfo : le maréchal Pétain a-t-il déjà été l’objet d’hommages pendant la Ve République ?

Bénédicte Vergez-Chaignon :  Le 11 novembre 1968, le général de Gaulle fait fleurir sa tombe et celle de tous les maréchaux par des préfets, pour le cinquantenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Georges Pompidou fait de même en 1973 après un épisode rocambolesque, quand le cercueil de Philippe Pétain avait été kidnappé par des partisans de Vichy pour l’emmener à l’ossuaire de Douaumont – il avait fini dans un garage du 14e arrondissement de Paris. Le cercueil avait été finalement remis en terre.

Des personnalités, dont le préfet de Vendée Jacques Reiller, se recueillent sur la tombe du maréchal Pétain, sur l'île d'Yeu, le 11 novembre 1968. (AFP)

Valéry Giscard d’Estaing avait fait déposer une gerbe en 1978, mais l’exception, c’est François Mitterrand, qui fait déposer une gerbe de 1986 à 1992. Serge Klarsfeld avait levé le lièvre après la controverse sur la responsabilité française dans la rafle du Vél d’Hiv. En 1995, Jacques Chirac s’était rendu à Douaumont et avait fait une nette distinction entre la Première et la Seconde Guerre mondiale : il avait dit qu’il était impossible de parler de Verdun sans parler de Pétain, sans oublier que ce dernier s'était déshonoré par ses choix politiques entre 1940 et 1944.

Plus récemment, la question de l'hommage aux maréchaux – et à Pétain – est un peu sortie de l'actualité, car l'accent a été davantage porté sur les combattants anonymes. Mais il était délicat de l'oublier lors d'une cérémonie liée à la Première Guerre mondiale. Je ne pense pas que cela ouvre la voie à une réhabilitation [la tombe de Philippe Pétain, située sur l'île d'Yeu, ne sera pas fleurie, a fait savoir l'Elysée].

Le général Pétain a été un "grand soldat" lors de la Première Guerre mondiale, déclare Emmanuel Macron. Quels sont ses faits d'armes pendant ce conflit ?

En 1914, Philippe Pétain permet d'assurer la retraite du général Lanrezac de la Belgique à la Marne. L'année suivante, il est le seul à réaliser une percée du front allemand en Artois. Mais je retiens surtout trois épisodes marquants. Arrivé à Verdun en février 1916 avec un rôle de défenseur, il permet à l’armée française de s’accrocher pendant l’offensive allemande. Le général restera identifié à cette bataille, qui n'est pas tout à fait une victoire, qui nourrira sa popularité.

Le deuxième épisode important a lieu en 1917 après la catastrophe de la bataille du Chemin des Dames et les mutineries. Il est appelé à la tête des armées et rétablit la situation avec certaines mesures controversées, comme des exécutions de soldats pour l’exemple. Le troisième temps fort, enfin, ce sont les opérations finales de 1918. Il y tient sa part, même s’il est un peu éclipsé par son supérieur, Foch, à ce moment-là.

Quelle est son aura auprès de soldats ?

Au-delà des mutineries, c’est aussi lui qui va rendre la vie du combattant un peu moins difficile, en améliorant le ravitaillement et en organisant des permissions à l’arrière du front pour que chacun ait du répit. A Verdun, il était dans une optique défensive, pour tenir la position. Il avait la réputation d’être économe de la vie des soldats. Il entretenait également d’assez bonnes relations avec les hommes politiques et le gouvernement, y compris avec Georges Clemenceau.

Une image datant de la Grande Guerre représente Philippe Pétain alors qu'il accroche une médaille à un drapeau français, en 1917. (ANN RONAN PICTURE LIBRARY / PHOTO12 / AFP)

Et ensuite ? 

Pendant la guerre, le général Pétain était appelé "le défenseur" ou "le sauveteur" de Verdun, avant que la légende n'améliore son surnom en "vainqueur". Lors des années 1920, d'ailleurs, il est encore à la tête des armées françaises et a la réputation d’être un général républicain, contrairement à certains de ses collègues. Très populaire, il est même envoyé pour représenter la France lors d’inaugurations ou de commémorations. Au moment de la grave crise politique de 1935, il est d'ailleurs appelé au sein du gouvernement d’union nationale comme ministre de la Défense.

Le général de Gaulle a déclaré que "sa gloire à Verdun ne saurait être contestée ni méconnue par la Patrie". Qu'en penser ?

C’est une citation intéressante, mais c’est l'ancien combattant de la Première Guerre mondiale qui parle ici. De nombreux soldats de l'époque, en particulier de Verdun, s'identifiaient à travers la personne du général de la Grande Guerre. Pour certains, cela se poursuit même après 1945 et la collaboration.

Peut-on réellement dissocier le maréchal de 1918 du collaborationniste du régime nazi en 1940 ?

S’il était mort en 1938, nous aurions peut-être des rues du maréchal Pétain. C’est pourtant le même homme, avec les mêmes idées – mais avec aussi vingt-cinq ans de plus : "La vieillesse est un naufrage", disait le général De Gaulle. Quand Pétain prend la tête du gouvernement en 1940 pour demander l’armistice, de nombreux Français imaginent qu’il va défendre bec et ongles la France et son honneur du mieux qu’il peut, voire qu’il préparera une revanche. Mais le maréchal Pétain n’est en aucun cas un paravent de Vichy : c’est bien lui qui aggrave de sa main le premier statut des juifs, en octobre 1940, avant de nombreuses autres décisions politiques.

Il demande l’armistice en 1940 car il est persuadé que la France pourrait disparaître si la victoire allemande était encore plus complète. Il considère les persécutions des juifs et le service du travail obligatoire comme des dommages collatéraux. Ce n’est pas un antisémite militant. Il ne prend pas de position publique sur l'antisémitisme et n'est pas leader sur cette question – je n'ai rien trouvé dans sa correspondance privée à ce sujet. Mais il partage les idées banales de la droite française d'alors : il fait par exemple la différence entre les juifs français de vieille souche et les juifs étrangers d’Europe centrale, immigrés, qu’il trouve trop nombreux.

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