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"Piratage" d'un autre virus, utilisation de l'ARN... Quelles sont les différentes technologies utilisées pour les projets de vaccins contre le Covid-19 ?

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Parmi les vaccins qui pourront bientôt être disponibles en Europe, trois utilisent l'ARN, deux autres "piratent" un autre virus et le dernier met en culture une protéine. (JESSICA KOMGUEN / PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Plusieurs vaccins contre le Covid-19 sont dans la dernière ligne droite, la phase III, et pourraient, dans les prochains mois, être disponibles dans plusieurs pays. Mais tous n'utilisent pas la même stratégie pour vaincre le virus.

Et de six. L'Union européenne annonce avoir signé un contrat avec Moderna pour fournir jusqu'à 160 millions de doses d'un futur vaccin contre le Covid-19, mardi 24 novembre. Des accords avaient déjà été passés avec le suédo-britannique AstraZeneca, l'américain Johnson & Johnson, le duo franco-britannique Sanofi-GSK, le duo américano-allemand Pfizer-BioNTech et l'allemand CureVac.

Mais tous ces laboratoires n'ont pas adopté la même stratégie pour développer ces futurs vaccins qui seront peut-être commercialisés en Europe. Trois d'entre eux utilisent l'ARN, deux autres "piratent" un autre virus et le dernier met en culture une protéine. Quels sont les principes de ces différentes techniques pour produire une réponse immunitaire adaptée ? Franceinfo revient sur quatre grandes stratégies mises en œuvre.

1Les vaccins inactivés

Les vaccins inactivés appliquent un traitement chimique au Sars-CoV-2, afin de le rendre inoffensif. Celui-ci conserve toutefois sa configuration, ce qui permet le déclenchement d'une réaction immunitaire. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

>> Projets actuellement en phase III d'essai clinique : Sinovac (Chine), Institut des produits biologiques de Wuhan. Sinopharm (Chine), Institut des produits biologiques de Pékin. Sinopharm (Chine) et Bharat Biotech (Inde).

Depuis Louis Pasteur, c’est la méthode historique et traditionnelle pour concevoir un vaccin, et cette technique a déjà permis d’éradiquer plusieurs infections virales. Elle consiste à injecter tout ou partie d'un virus après lui avoir fait subir un traitement le rendant inoffensif, ce qui provoque une réponse immunitaire contre le véritable virus. Chaque année, des millions de Français ont recours à un vaccin dit "inactivé" pour se protéger de la grippe saisonnière.

Le virus est d'abord cultivé au sein de cellules animales, par exemple des cellules rénales de singes verts (laboratoire Sinovac). L’opération suivante consiste à le "désactiver" en lui faisant subir une forte hausse de température ou un traitement chimique. Puis il est concentré, purifié et stérilisé. Après un tel traitement, ce virus fait figure de fantôme et il n’est plus en capacité d’infecter les cellules.

Tout l'enjeu est "d'inactiver les virus de façon correcte tout en conservant leur immunogénicité [leur capacité à déclencher une réponse immunitaire], explique Vincent Le Moing, du service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Montpellier (Hérault), donc on met souvent beaucoup de temps avant de pouvoir passer aux phases cliniques.” En cas de succès, ce virus est K.-O. mais il déclenche une réponse et la production d'anticorps spécifiques.

Développé par Sinovac, le vaccin CoronaVac est déjà disponible dans plusieurs villes chinoises, dans le cadre d'une vaste campagne de vaccination sur la base du volontariat. Pékin a en effet donné son feu vert, alors même que ce produit est toujours en phase III d'essai clinique au Brésil. La Chine veut aller vite et peut compter sur deux autres vaccins inactivés développés par Sinopharm. Objectif : être en capacité, dès la fin de l'année, de pouvoir produire 610 millions de doses par an.

2Les vaccins "sous-unitaires"

Les vaccins "sous-unitaires" (ou à protéine recombinante), isolent les protéines S du Sars-CoV-2, qui sont ensuite administrées pour déclencher la réponse immunitaire. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

>> Projet actuellement en phase III d'essai clinique : Novavax (Etats-Unis).

Cette fois-ci, il n'est plus question d'injecter une version dégradée du Sars-CoV-2, le virus à l'origine du Covid-19, mais de se concentrer sur l'une de ses molécules en particulier. Plus précisément sur une protéine en forme d'aiguille, nommée S (Spike). Présente à la surface du Sars-CoV-2, elle fonctionne comme une "clé" et permet au virus de débloquer la serrure des récepteurs puis de traverser la membrane cellulaire.

Les vaccins "sous-unitaires" ont pour principe de créer une protéine S semblable à celle du virus puis à l'injecter dans l'organisme, ce qui déclenche la production d'anticorps capables, ensuite, d'engluer et de neutraliser la protéine S du véritable virus. Sans cette protéine, le virus ne peut plus pénétrer dans les cellules et ne peut donc pas se répliquer.

La séquence génétique codant la protéine S est connue depuis le mois de mars. Cette "recette" permet de produire la molécule isolée par des méthodes de génie génétique. Cette protéine, toutefois, est peu immunogène, c'est-à-dire peu susceptible d'entraîner une réponse immunitaire. Injectée seule, elle pourrait être dégradée par les enzymes sans avoir été détectée par le système immunitaire, et n'avoir donc aucun effet. C'est la raison pour laquelle les vaccins "sous-unitaires" recourent nécessairement à des adjuvants. Les sels d'aluminium sont très souvent utilisés dans ce type de vaccins, mais le vaccin candidat de Novavax utilise des extraits de saponine de quillaja (un arbre) avec du cholestérol et des phospholipides (adjuvant Matrix-M).

Un modèle de la protéine Spike (en rouge) liée au récepteur ACE2 d'une cellule.  (JUAN GAERTNER/SCIENCE PHOTO LIBR / JGT / AFP)

Souvent présents dans les vaccins inactivés, ces adjuvants vont permettre ici de stimuler l'immunité innée, en attirant sur le site de la piqûre les macrophages, de grosses cellules qui font office de sentinelles dans l'organisme. Une fois sur place, ces éclaireurs de première ligne ne vont pas se contenter de dévorer les adjuvants, mais ils vont également détecter les protéines S injectées dans le vaccin et en informer le système immunitaire, ce qui permettra de produire des anticorps spécifiques (immunité adaptative) qui resteront en mémoire. Et qui protégeront la personne vaccinée.

Sur un plan industriel, la protéine S est produite dans ce que l'on nomme des fermenteurs, ou bioréacteurs. “Il faut veiller à ce que la protéine S finalement produite soit de bonne conformation, qu'elle ressemble bien à la protéine S du virus sauvage", précise à franceinfo Bruno Pitard, directeur de recherches au CNRS. 

"Tous les vaccins en phase avancée de développement ont déjà montré qu’ils arrivaient à faire produire des anticorps neutralisants", précise tout de même Vincent Le Moing. A ce jour, et depuis septembre, Novavax est le seul laboratoire dont le vaccin candidat à protéine recombinante est en phase III d'un essai clinique. Des données préliminaires sont attendues au premier trimestre 2021.

3Les vaccins à ARN ou à ADN

Les vaccins à ARN sont composés de brins génétiques encapsulés dans des petites particules graisseuses, afin de les protéger jusqu'au cytoplasme de la cellule. Cette information va permettre la synthèse de la protéine Spike, l'antigène qui déclenche une réponse immunitaire. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

>> Projets actuellement en phase III d'essai clinique : Moderna-NIAID (Etats-Unis). BioNTech-Pfizer (Allemagne, Etats-Unis).

Troisième génération et nouvelle stratégie. "Cette fois, c'est l'individu vacciné lui-même qui est mis à contribution pour produire la protéine S", résume Bruno Pitard. Les vaccins à ADN ont été lancés chez les animaux dans les années 1990 et la recherche s'oriente depuis une dizaine d'années vers l'ARN (acide ribonucléique), qui retranscrit l'information génétique d'une partie du virus. Aucun vaccin de la sorte n'a encore été lancé sur le marché. Il s'agirait donc d'une première.

Le bout de code génétique permettant de coder la protéine S est connu précisément depuis le mois de mars. Il est donc relativement aisé de produire cet ARN messager, grâce aux techniques de génie génétique. Il suffit alors d'injecter cette "recette génétique" dans les cellules musculaires pour qu'elles synthétisent la protéine, ce qui provoque la réponse immunitaire désirée, et protège ensuite du virus. "C’est un processus de développement extrêmement rapide, souligne Vincent Le Moing. On est sur une chose déjà prête. C’est très ingénieux et ça explique la grande rapidité de mise au point."

En effet, cet ARN est bien plus simple et rapide à produire que des virus ou des protéines, ce qui présente des avantages dans la perspective d'une production à très grande échelle. C'est la raison pour laquelle les vaccins de Moderna et de Pfizer sont les premiers à annoncer des résultats. Avant d'être administrés, les brins d'ARN doivent encore être encapsulés dans des nanoparticules lipidiques, des composés gras. Cette enveloppe permet en effet d’éviter "la dégradation de cet ARN messager par une enzyme, l’ARNase, avant même qu’il ne pénètre dans la cellule", explique Paul Loubet, du service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Nîmes (Gard).

Ce "qui est surtout intéressant avec ces vaccins ADN et ARN, c’est qu’au-delà [de la production] des anticorps (IgG et IgM), ils permettent également une réponse immunitaire cellulaire", ajoute Bruno Pitard. Cette double action pourrait expliquer les bons résultats affichés par Pfizer et Moderna, qui revendiquent tous deux une efficacité supérieure à 90%. Ces résultats communiqués en grande pompe méritent toutefois une sérieuse relecture par les pairs.

Il y a tout de même un point négatif et des inconnues. L'ARN est très instable et fragile, de même que les nanoparticules lipidiques nécessaires à son entrée dans la cellule. C'est la raison pour laquelle le vaccin de Pfizer et BioNTech doit être conservé à -70 °C (Moderna communique sur une température de -20 °C). Par ailleurs, faute de retour d'expérience, il reste des inconnues sur la durée de l'immunité acquise grâce à ces vaccins et sur la fréquence des effets secondaires (fatigue, fièvre), voire sur leurs effets à long terme.

4Les vaccins à vecteurs viraux

Les vaccins à vecteurs viraux utilisent un adénovirus désactivé équipé d'une séquence génétique très précise du coronavirus : celle qui code la synthèse de l'antigène, la protéine "Spike".  (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

>> Projets actuellement en phase III d'essai clinique : AstraZeneca-université d'Oxford (Royaume-Uni). CanSino Biological Inc.-Institut de biotechnologie de Pékin (Chine). Institut de recherche Gamaleïa (Russie). Johnson & Johnson (Etats-Unis). Beijing Wantai Biological-université de Xiamen (Chine).

Cette technique a notamment contribué à mettre un terme à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l'Ouest, fin 2014. Cette fois, l'idée est "d’intégrer à un virus déjà existant [le bout de] séquence génétique du Sars-CoV-2 permettant de coder la protéine S", résume Paul Loubet. Il faut d'abord retirer les séquences génétiques qui codent les fonctions pathogènes du virus désigné (par exemple le virus de la rougeole), afin de le rendre inoffensif. Bien qu'amoindri, ce virus pourra toujours entrer dans les cellules. A la manière d'un cheval de Troie, il transportera avec lui la portion de code du Sars-CoV-2 permettant à la cellule humaine de produire, en réaction, la protéine recherchée. Qui le protégera ensuite du Covid-19.

On parle de vecteur viral "non réplicatif" quand le virus choisi pour le transport a été atténué de manière à ne plus pouvoir se répliquer dans les cellules. Mais "l’une des grandes questions, ici, c’est de savoir si l’efficacité de la réponse immunitaire peut être atténuée, lorsque le vaccin utilise un vecteur viral auquel l’organisme a déjà été exposé", explique Paul Loubet. En effet, si le corps a déjà été en contact avec le virus utilisé pour le transport, l'infection des cellules pourrait être limitée, ce qui rendrait le vaccin inefficace.

Les laboratoires AstraZeneca ou Johnson & Johnson, par exemple, ont contourné cette difficulté en travaillant avec des virus animaux – des adénovirus de chimpanzés ; d'autres utilisent le virus de la stomatite vésiculaire du bétail (VSV). 

La stratégie nécessite un travail sur les gènes de deux virus différents, mais ensuite, elle est proche de celle des vaccins dits "inactivés". "Le développement d’une immunité contre le vecteur viral pourrait diminuer l’efficacité de la deuxième dose de vaccin", souligne toutefois Paul Loubet, qui attend donc davantage de données des essais en cours. Jeudi 26 novembre, le directeur général d'AstraZeneca, Pascal Soriot, expliquait lui-même que son vaccin "nécessitait une étude supplémentaire" pour en valider l'efficacité. Par ailleurs, le candidat vaccin d'AstraZeneca est plus long à produire que ceux de Pfizer et Moderna. Mais il présente l'avantage d'être plus facile à stocker, car il n'a pas besoin d'être conservé à très basse température.

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