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"Stopper le naufrage de la nature", le très ancien cri d'alarme des scientifiques

Le sommet mondial sur la biodiversité s'ouvre le 29 avril à Paris. Pendant trois ans, 150 experts de 50 pays ont planché sur un rapport de 1 800 pages, soumis aux dirigeants politiques. Le début d'une réelle prise de conscience ?

Article rédigé par franceinfo
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Le Golf d'Esery aux portes de Genève prétend au Label Argent dans le programme en faveur de la biodiversité. (Olivier Rithauser)

On pourrait penser que la prise de conscience de la nécessité de protéger la nature date de la fin des années 1980, quand le terme de "biodiversité" s’impose sous la plume du biologiste anglais Edward Osborne Wilson, puis avec comme premier jalon institutionnel, le sommet de la Terre de 1992 à Rio. En réalité, cette prise de conscience est bien plus ancienne. 

1949 : Roger Heim tire la sonnette d'alarme

Roger Heim, grand mycologue, a longtemps dirigé le Museum national d’histoire naturelle à Paris. Il s'est exprimé dans un enregistrement daté de 1949 - il y a donc très exactement 70 ans - et qui n'a pas vieilli. "L'homme a détruit, par le fer, par le feu. Mais a-t-il suffi par son action directe, par ses armes, à provoquer de tels carnages? Non. L'extinction de tant d'espèces et de tant d'individus animaux et végétaux, provient plus encore de la transformation des lieux où ceux-ci vivaient."

"Une extinction" alors sans commune mesure avec aujourd’hui, mais déjà le scientifique insistait sur le fait que ce n’était pas d’abord l’action directe de l’Homme - comme la chasse ou la pêche - qui entraîne ces extinctions, mais son action indirecte qui détruit l’habitat, cadre de vie des espèces animales et végétales. En cause, par exemple, l’urbanisation et la déforestation.  

Un cri dans le désert 

Ce discours a rencontré peu d’écho. Pour communiquer, il faut un émetteur mais aussi un récepteur, et il est clair qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’enjeu est de gagner la bataille de la production industrielle, d’entrer dans la modernité urbaine et d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, quitte à user et abuser des produits phytosanitaires.

Mais Roger Heim n’est pas le seul à tirer la sonnette d’alarme. Aux États-Unis, la prise de conscience est forte dans les années 1960 notamment avec le grand livre de la biologiste Rachel Carson, Silent Spring (1962), traduit sous le nom Printemps silencieux en 1963 en France. Dans ce livre, la scientifique dénonce les effets négatifs des pesticides sur l'environnement et plus particulièrement sur les oiseaux. Dix ans plus tard, les États-Unis interdiront le produit chimique DDT (pour dichlorodiphényltrichloroéthane). 

"Avant que nature meure" (1965), le livre qui devait tout changer

En France, c’est aussi un spécialiste des oiseaux, Jean Dorst, qui publie en 1965 un livre très important, Avant que nature meure : "Au cours de ma carrière de biologiste, j'ai été frappé de la dévastation de la nature proprement dite, la disparition, la régression des espèces animales ou végétales".

La préface de ce livre est l’œuvre de Roger Heim, à cette époque à la tête du Museum national d'histoire naturelle. Il se montrait confiant sur l'impact du livre sur le public.

Nous y sommes, à l'aube de cette prédiction terrible, et je suis persuadé que le livre de M. Dorst permettra de stopper ce naufrage de la nature

Roger Heim, 1965

Nous étions en 1965, il y a plus de 50 ans donc, et selon les experts réunis à Paris, il était encore temps alors pour infléchir et de stopper ce que Roger Heim appelle "ce naufrage de la nature". Que de temps perdu depuis. On espère désormais que les scientifiques seront écoutés par les politiques, car il est plus que temps.

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