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"Crime passionnel" : cachez ce crime que je ne saurais voir

Drame conjugal, crime passionnel, crime d’amour… On rivalise d’imagination pour qualifier ces crimes, ce qui en dit long sur la spécificité qu’on a longtemps voulu y voir. 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Une femme victime de violence conjuguale (illustration).  (SAMI BELLOUMI / MAXPPP)

Après la mort d'une femme tuée par son mari samedi 6 avril, l'expression "crime passionnel" a été de nouveau utilisée dans les médias. Pour prendre la mesure de la "spécificité" du "crime passionnel", je vous propose d’écouter le tout début d’un numéro des "Dossiers de l’Ecran" qui date du 5 novembre 1974, un numéro consacré au crime passionnel, il est présenté par Alain Jerôme.  

Le dossier que nous allons ouvrir ce soir est un dossier plein de sang et plein de larmes. C'est en effet le crime passionnel que nous allons évoquer ce soir. le crime passionnel qui se distingue de tous les autres crimes par le fait qu'il conduit souvent sur le banc des accusés, des honnêtes gens

les Dossiers de l'écran, Antenne 2, 5 novembre 1974

Ce n’est pas qu’un regard social, qui le considère comme tel parce que soit disant porté par l’amour voire le romantisme ou l’honneur, c’est aussi la loi qui l’indiquait. La loi du 18 avril 1832 inscrit les circonstances atténuantes pour ce genre de crimes. On en est arrivé là en raison des très nombreux acquittements consécutifs au code pénal de 1791 qui ne distinguait plus les types de crime.  

Une clémence qui perdure 

Il y a plusieurs facteurs qui tiennent d’abord au rejet social de l’adultère. Dans les procès du XIXe siècle surtout, mais aussi du XXe siècle, c'est souvent l’élément mis en avant par le mari trompé pour justifier et excuser son geste. Il faut tout de même rappeler que jusqu’à la loi du 11 juillet 1975 qui dépénalisait l’adultère, les femmes étaient jusqu'alors sanctionnées pénalement plus sévèrement que leur mari. Et puis il y a aussi le sentiment que ce crime, qui se tient dans le cadre domestique est moins dangereux pour l’ensemble de la société. Un crime intime d'une certaine manière. 

Une lente évolution se dessine à partir de la fin des années 1980

En 1989, le gouvernement lance la première campagne de lutte contre les violences conjugales. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Pour en prendre la mesure, écoutez ici un extrait du journal de 7h30 présenté par Annette Ardisson sur France Inter le 16 octobre 1989 : "Il y aurait deux millions de femmes battues, un phénomène qui toucherait, tenez-vous bien, un foyer sur 10. Evidemment, on se demande toujours ce qui fait que ces femmes restent avec leur mari ou avec leur compagnon. Il existe des associations pour les aider à s'en sortir. Mais ce qu'on sait moins, c'est qu'il existe un groupe d'entraide pour les hommes qui battent leurs femmes, parce qu'eux aussi souffrent", disait-on alors sur l'antenne de France Inter. 

Oui, vous avez bien lu, pour parler des violences conjugales, sujet "tabou" en 1989, on donne la parole aux hommes qui battent leurs femmes mais qui en souffrent. Un peu comme le mari victime d’adultère qui tue sa femme, on ne se sait jamais vraiment très bien qui est la victime.

La loi a tout de même fait des progrès depuis la fin des années 1980.  Depuis 1990 et 1992, la loi reconnaît le viol entre époux, mais il faudra attendre 2010 pour que la présomption de consentement disparaisse enfin de la loi. Autre évolution de la loi en 1994, la vieille loi de 1832 sur les circonstances atténuantes des crimes passionnels a disparu, et s’est même renversé, puisque depuis cette date le crime conjugal est devenu particulièrement grave. La qualité de conjoint de la victime est devenue une circonstance aggravante. Plus tard, en 2006, elle sera élargie aux concubins, pacsés et aux anciennes relations. Reste à faire évoluer les mentalités et aussi, reconnaissons-le, les expressions parfois employées par les journalistes.  

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