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C'est dans ma tête. Disparités salariales et image sociale de soi

Les disparités salariales ont des conséquences psychologiques importantes que l'on sous-estime dans le milieu du travail. La psychanalyste Claude Halmos nous explique pourquoi. 

Article rédigé par franceinfo, Claude Halmos
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
Des feuilles de paie. (MAXPPP)

"Dis-moi ce que tu gagnes, et je te dirai si tu comptes"... Selon un classement réalisé par l’agence Bloomberg, le rapport entre les salaires des patrons et ceux des salariés est, aux USA, de 265 : un salarié doit travailler cinq ans pour gagner ce que son PDG gagne en une semaine. Ce rapport est, en France, de 70, et des voix s’élèvent pour qu’il soit, comme en Norvège, ramené à 20. 

franceinfo : Les disparités salariales ont-elles des conséquences psychologiques sur ceux qu’elles touchent ?

Claude Halmos : Les disparités salariales ont des conséquences psychologiques très importantes, et très sous-estimées. Un salarié est affecté par son salaire de deux manières :
- Au niveau de la réalité, puisque ce salaire conditionne son niveau de vie. Ce qui a déjà pour lui des conséquences psychologiques, puisque cela signifie que c’est son salaire, et non son désir, qui va décider du type de vie qu’il peut avoir.
- Mais l’impact psychologique du salaire est plus important encore, parce qu’il joue un rôle essentiel dans la construction de l’image sociale que le salarié a, de lui-même.   

Vous pouvez expliquer cette notion d’image sociale ?

Tant qu’un enfant ne vit, parce qu’il est petit, que dans sa famille, il n’a qu’une seule image de lui-même et de sa valeur, et cette image dépend de l’amour que ses proches lui portent : s’il se sent aimé par eux, il a la certitude qu’il compte. Mais, avec l’entrée à l’école, cette première image va se doubler d’une autre, liée, non pas à l’amour que les enseignants lui portent (ce n’est pas leur rôle), mais à son travail, qu’ils vont juger, et noter.

Et ce processus va se poursuivre dans le monde du travail, où le salaire, qui dit la valeur accordée au travail effectué, va prendre le relais des notes ; et devenir, pour le salarié, l’indice de sa valeur sociale. Les chômeurs par exemple, qui ne parviennent pas à retrouver un salaire, ont très souvent le sentiment de ne plus avoir, dans la société, aucune valeur.  

Quel rôle jouent les écarts de salaire ?

Ils permettent, eux aussi, aux salariés d’évaluer leur valeur sociale. Parce que le salaire compte au niveau de son montant, mais en fonction aussi de la façon dont il s’inscrit dans la hiérarchie des salaires.

Le mécanisme est le même que dans la vie privée : si l’on dit à un enfant, qu’il compte autant que ses frères et sœurs, tout en lui donnant systématiquement moins qu’à eux, il ne peut pas le croire

Claude Halmos

franceinfo

Il ne s’agit pas que tout le monde soit au même niveau : un salarié peut admettre qu’il existe différents niveaux de compétences. Mais, il faut, pour qu’il ne s’en sente pas dévalorisé, d’une part que son salaire soit décent et, d’autre part, que les écarts restent suffisamment sensés, pour que l’échelon supérieur puisse demeurer au moins imaginairement, atteignable.

Gagner dix fois plus est imaginable, gagner 265 fois plus, ne l’est pas

Claude Halmos

franceinfo

Ce type d’écart donne au salarié un sentiment d’injustice, d’arbitraire, et de relégation dans une caste inférieure. Et cela peut le mener soit à une totale désespérance, soit à une très grande violence.  

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