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En Egypte, le business avec la France continue, la répression aussi

Le président Emmanuel Macron se rend en Egypte en visite officielle du 27 au 29 janvier 2019. Depuis 2013, la France est devenue l’un des principaux fournisseurs d’armes du Caire, alors qu'au nom de la lutte anti-terroriste, l’Egypte est devenue "une prison à ciel ouvert", selon les organisations des droits de l’Homme. 

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Poignée de mains entre le président français, Emmanuel Macron, et son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, le 24 octobre 2017 lors de la visite de ce dernier à Paris. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi "a fait un travail remarquable pour redresser l’économie égyptienne (…). Cela fait de l’Egypte un marché encore plus intéressant pour les entreprises françaises", a déclaré le 21 janvier le ministre français de l’Economie, Bruno Lemaire. Les firmes hexagonales ont largement anticipé l’appel. En 2016, plus de 160 d’entre elles étaient implantées en Egypte et employaient près de 30 000 personnes.

Les investissements français sont essentiels pour un pays qui affronte une crise économique aiguë depuis la chute du président Hosni Moubarak en 2011.

En 2017, les échanges commerciaux entre Paris et Le Caire ont atteint 2,5 milliards d’euros, en hausse de 21,8%. De leur côté, les vacanciers français ont été nombreux à se rendre sur les bords du Nil : +151% en 2018, selon le Syndicat des entreprises du tour-operating (Seto). D’une manière générale, le tourisme égyptien, une activité essentielle très affectée par les attentats djihadistes (comme celui contre un avion russe à Charm el-Cheikh qui avait tué 224 personnes en octobre 2015), se redresse, constate l’Organisation mondiale du tourisme.

Priorité à la lutte anti-terroriste

Pour autant, les opérations contre les touristes n’ont pas vraiment cessé. Le 28 décembre 2018, une attaque à la bombe artisanale contre un car de touristes vietnamiens a fait quatre morts et onze blessés à Gizeh. "Alors que la violence djihadiste freine le redressement de l’économie du pays, le gouvernement égyptien cherche à démontrer que la lutte anti-terroriste reste sa priorité", rapportait Le Monde le 29 décembre.


Des membres des forces de sécurité égyptiennes montent la garde après l'attaque contre un bus touristique dans la province de Gizeh, au sud du Caire, le 28 décembre 2018. (MOHAMED EL-SHAHED / AFP)

De leur côté, les associations ne nient pas le problème. "C’est vrai, il y a un danger terroriste réel dans le Sinaï", a expliqué Ahmed Benchemsi, de Human Rights Watch (HRW), lors d’une conférence de presse organisée le 24 janvier au siège d’Amnesty International France à Paris. Pour autant, la lutte des autorités ne fait pas dans le détail. "La ville de Rafah (nord du Sinaï, NDLR) a ainsi été quasiment effacée de la carte : l’armée a détruit 3600 habitations", a précisé Ahmed Benchemsi. Aucun logement de remplacement n’aurait été fourni aux habitants.

L’Egypte, "une prison à ciel ouvert"

D’une manière générale, les associations de défense des droits humains dénoncent l’utilisation très "large" de la loi antiterroriste, "très souvent utilisée pour faire taire les opposants". Toutes sortes d’opposants. Des journalistes qui font leur métier. Des défenseurs des droits accusés de "diffusion de fausses rumeurs", tel Amal Fathi, une jeune mère de famille qui avait diffusé sur internet une vidéo contre le harcèlement sexuel, a dénoncé lors de la conférence de presse Catherine Teule, d'EuroMed Rights. Un jeune comédien a aussi été arrêté pour avoir donné à des soldats ou à des policiers des… préservatifs gonflés à l’hélium

Dans ce contexte, l’Egypte est devenue "une prison à ciel ouvert pour les détracteurs du régime". "Depuis la prise du pouvoir d'Abdel Fattah al-Sissi en 2013, au moins 60 000 personnes ont été arrêtées", a rapporté Ahmed Benchemsi. Lequel précise que ce chiffre n’a pas été actualisé depuis 2017.

Dans le même temps, le régime pratique "tortures et disparitions forcées". Une torture pratiquée "à la chaîne". "Les meurtres extra-judiciaires sont devenus un fait banal", a dénoncé à Paris Bahey Eldin Hassan, directeur de l'Institut du Caire pour l'étude des droits humains (CIHRS), qui vit en exil en France avec sa famille. Ces dernières années, 50 personnes ont été tuées lors de disparitions forcées, dénonce HRW.

Avions Rafale survolant Le Caire le 21 juillet 2015. (KHALED DESOUKI / AFP)

"Equipement de la répression"

"La France participe à l’équipement de la répression", a accusé Antoine Madelin, de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), organisation qui a consacré en 2018 un rapport sur cette question. Et ce, en raison des exportations françaises d’armes et de technologies de surveillance. En 2011, ces exportations s’élevaient à 9,8 millions d’euros, selon Amnesty International. Six ans plus, elles atteignaient 1,3 milliard, "ce qui fait de l’Egypte (le) plus gros client" de la France dans ce domaine. Parmi les plus gros équipements vendus par Paris, on trouve 24 avions Rafale, deux porte-hélicoptères Mistral (initialement destinés à la Russie), une frégate, des missiles… L'Egypte pourrait par ailleurs commander 12 autres Rafale.

La France a également vendu "des véhicules blindés Sherpa". De tels équipements "sont utilisés pour la répression des manifestations", affirme Antoine Madelin. Selon le rapport de la FIDH ont aussi été livrés "un système de cyber-surveillance", fabriqué par la société Nexa Technologies, des drones, un satellite. Autant d’équipements orientés "vers le contrôle des foules dans le cadre de missions de sécurité intérieure"

Qu’en dit l’Elysée ?

Interrogé en octobre 2017 sur la situation des droits de l’Homme en Egypte à l’occasion de la visite d’Abdel Fattah al-Sissi à Paris, Emmanuel Macron se justifiait en expliquant : "Je n’accepte pas qu’un dirigeant étranger me donne des leçons sur la façon, dont je gère mon pays, donc je n’en donne pas aux autres." Pour Bahey Eldin Hassan, le refus de donner des leçons équivaut à une "promesse de silence de la part de la France". Les associations des droits de l’Homme ont récemment discuté de ces questions à l’Elysée "On nous a répondu que la présidence française n’avait pas eu, en la matière, les résultats qu’elle escomptait en 2017. Et qu’aujourd’hui, elle réfléchissait à d’autres méthodes."

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