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Pollution dans le delta du Niger : le pétrolier néerlandais Shell condamné à domicile pour ses activités au Nigeria

La décision de la justice hollandaise crée un précédent : les multinationales pourront désormais être jugées dans leur pays d'origine pour des dommages causés à l'étranger. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Donald Pols, directeur de Milieudefensie, s'adresse à la presse le 29 janvier 2021 à La Haye (Pays-Bas), après la décision du tribunal dans l'affaire opposant le groupe pétrolier Shell à quatre agriculteurs nigérians, dont on voit les portraits (à sa gauche), et Milieudefensie. (REMKO DE WAAL / ANP MAG)

Le groupe pétrolier néerlandais Shell a été condamné le 29 janvier 2021 par un tribunal de La Haye (Pays-Bas) à indemniser trois des quatre fermiers qui poursuivaient sa filiale nigériane, pour avoir pollué les eaux de leurs villages dans le delta du Niger (sud-est du Nigeria). Soutenus par Milieudefensie/Amis de la Terre Pays-Bas, les agriculteurs étaient engagés dans un bras de fer juridique avec Shell Nigeria depuis treize ans.

Shell et Shell Nigeria : tous coupables 

Après avoir été victimes de marées noires respectivement dans leurs villages de Goi, Ikot Ada Udo et Oruma quelques années plus tôt, Eric Dooh et son père le chef Barizaa Dooh (décédé durant la procédure), Elder Friday, le chef Fidelis Oguru et Alali Efanga (disparu en 2016) attaquent Shell en 2008 pour être dédommagés. La pollution ayant détruit leurs moyens de subsistance et leur cadre de vie.

Le groupe pétrolier Shell conteste de facto qu'il puisse être jugé par des tribunaux hollandais pour des faits survenus au Nigeria. En décembre 2009, les plaignants obtiennent leur première victoire quand la justice batave se déclare compétente dans le volet Oruma de l'affaire. 

Aujourd'hui, le tribunal de La Haye a reconnu que Shell Nigeria était responsable des dommages causés par les fuites de pétrole, dans ces villages de la région du delta du Niger riche en pétrole. "Avant la marée noire (en 2004), les gens d'ici mangeaient bien, la pêche était bonne. Non seulement c'était suffisant pour eux, mais nous pouvions aussi gagner de l'argent en vendant du poisson.Tout ça, c'est fini maintenant. Le pétrole est dans tout, dans l'air que nous respirons, dans notre eau potable et dans la nourriture que nous mangeons. Notre peuple mange, boit et respire le pétrole brut, c'est pourquoi il meurt jeune", confiait quelques années plus tôt Eric DoohLes fuites de pétrole de Shell dans les trois villages concernés "ont rendu inutilisables les champs et les étangs de poissons des populations locales", résume le communiqué des Amis de la Terre

Par conséquent, la multinationale Shell doit aujourd'hui indemniser les plaignants Eric Dooh, le chef Fidelis Oguru et les héritiers d'Alali Efanga. Le montant de l'indemnisation devant encore être décidé.

Un verdict "porteur d'espoir" pour le delta du Niger 

"C'est la première fois qu’un tribunal tient une multinationale néerlandaise responsable de son devoir de vigilance à l’étranger", souligne Les Amis de la Terre. La justice a ainsi exigé de Shell qu'elle installe un système de détection dans son oléoduc d'Oruma. Les fuites n'ayant "jamais été nettoyées en profondeur et du nouveau pétrole s’échappe encore régulièrement", note l'ONG

(Nous pleurons de bonheur ici. Après 13 ans, nous avons gagné)

"Enfin, a réagi Eric Dooh, il y a une certaine justice pour le peuple nigérian qui souffre des conséquences des activités pétrolières de Shell. C’est une victoire au goût amer, puisque deux des plaignants, dont mon père, sont décédés avant la fin de ce procès. Mais ce verdict est porteur d’espoir pour l’avenir des habitants du delta du Niger."  

Selon Les Amis de la Terre, "16 000 bébés meurent des suites de la pollution, et l’espérance de vie dans le delta est inférieure de 10 ans à celle du reste du Nigeria".

La fin de l'impunité pour les multinationales hollandaises

"C’est historique que Shell doive compenser les dommages, note pour sa part Donald Pols, directeur de Milieudefensie/Amis de la Terre Pays-Bas. C’est aussi un avertissement pour toutes les multinationales néerlandaises impliquées dans des injustices à l’échelle mondiale. Les victimes de la pollution de l’environnement, de l’accaparement des terres ou de l’exploitation ont désormais de meilleures chances de gagner une bataille juridique contre les entreprises concernées. Les habitants des pays du Sud ne sont plus sans droits face aux sociétés transnationales" .

Même son de cloche chez Channa Samkalden, l’avocat des agriculteurs nigérians et de Milieudefensie"Après des années de procès, la justice a enfin été rendue pour beaucoup de mes clients, seule l’affaire Ikot Ada Udo est encore en cours. Non seulement Shell est responsable de la marée noire et mes clients obtiendront ce à quoi ils ont droit, mais cette affaire montre également que les entreprises européennes doivent se comporter de manière responsable à l’étranger" .

La victoire hollandaise est un signal fort pour d'autres affaires en cours. "Alors que nous avons engagé en France une action en justice contre Total pour ses activités en Ouganda, cette victoire historique aux Pays-Bas nous apporte beaucoup d’espoir : elle montre qu’il est possible d’obtenir justice face à des multinationales qui se croient toutes puissantes et sont habituées à agir en toute impunité", a déclaré Juliette Renaud, responsable de campagne sur la Régulation des multinationales aux Amis de la Terre France

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