Cet article date de plus de douze ans.

Cour de la Haye : après Gbagbo, Ouattara peut-il être inculpé ?

Laurent Gbagbo a été inculpé mardi par la Cour pénale internationale (CPI). L'ex-président ivoirien est le premier à répondre des crimes commis pendant la crise postélectorale de 2011. "Il ne sera pas le dernier", a affirmé le procureur de la CPI.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Le procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, et le président ivoirien Alassane Ouattara, le 15 octobre 2011 à Abidjan (Côte d'Ivoire) (SIA KAMBOU / AFP)

Laurent Gbagbo a été inculpé mardi 29 novembre par la Cour pénale internationale (CPI). L'enquête porte sur des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre commis pendant la crise postélectorale entre l'ex-président ivoirien et le candidat Alassane Ouattara, de novembre 2010 à avril 2011.

Si les partisans de Laurent Gbagbo sont accusés de la majorité des violences, le camp Ouattara pourrait également être inquiété par le procureur de la CPI Luis Moreno Ocampo. Explications.

L'enjeu des dates de saisines

En mai 2011, Alassane Ouattara, nouveau président de la Côte d'Ivoire, adresse au procureur Ocampo une lettre, disponible sur le site de la CPI (PDF). Il lui demande de faire la lumière sur "les crimes les plus graves commis depuis le 28 novembre 2010 sur l'ensemble du territoire ivoirien", date du deuxième tour de l'élection présidentielle.

Le choix de cette période n'est pas anodin. "Pour un procès équitable, il faut partir de 2002", explique Michel Galy, sociologue spécialiste de la Côte d'Ivoire et des conflits en Afrique de l'Ouest. De fait, cette fourchette exclut toutes les violences de la guerre civile (2002 à 2011) et notamment celles perpetrées par les rebelles du Nord, sur lesquels Ouattara s'est appuyé pour arriver au pouvoir.

• De fortes présomptions pèsent sur les forces pro-Ouattara

Mais même sur la période postélectorale, le camp Ouattara n'est pas à l'abri de poursuites. "Il y a un faisceau de présomptions et des témoignages qui indiquent que les FRCI (Forces républicaines de Côte d'Ivoire, combattants pro-Ouattara) et leurs supplétifs ont commis des crimes qui pourraient être constitutifs de crimes de guerre, comme le viol ou l'exécution sommaire", affirme Florent Geel, directeur Afrique de la Fédération internationale des droits de l'homme, qui a enquêté sur place.

Dans la ville de Duékoué par exemple, plus de 816 personnes ont été tuées fin mars 2011, comme le raconte SlateAfrique. Cependant, Florent Geel estime que ces violences n'ont "ni le même degré, ni la même nature" que celles commises par le clan Gbagbo, qu'il accuse d'avoir utilisé l'Etat ivoirien pour perpétrer des exactions contre ses opposants. 

• L'inculpation d'Alassane Ouattara est improbable politiquement

"Le mandat de la CPI l'oblige à poursuivre l'ensemble des camps, rappelle Florent Geel, et nous veillerons tout particulièrement à ce qu'elle le fasse". Le procureur doit d'abord réunir les preuves des exactions et trancher la question de la responsabilité. "Si l'on considère que le leader de chaque camp est responsable, il faudrait inculper Alassane Ouattara", explique Michel Galy.

Pourtant, l'inculpation de l'actuel président ivoirien, soutenu par la communauté internationale dans sa lutte contre Laurent Gbagbo, est peu probable. "C'est improbable politiquement, reconnait Michel Galy, sauf dans l'hypothèse lointaine où il aurait quitté le pouvoir".

Sur SlateAfrique, Thomas Hofnung, auteur du livre La crise ivoirienne, de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, explique également que pendant la crise, Ouattara "était coincé à l’hôtel du Golf à Abidjan et son pouvoir était assez théorique sur les forces armées".

De fait, c'est Guillaume Soro, l'actuel Premier ministre, qui dirigeait les opérations militaires. Par conséquent, il est davantage exposé aux poursuites. "Guillaume Soro ne vient pas en France ou à l'étranger, remarque Michel Galy, il se replie dans son fief de Bouaké, tout se passe comme s'il anticipait des décisions de la CPI". Mais son pouvoir militaire rend difficile toute tentative d'interpellation. "Il reste l'hypothèse des lampistes, analyse Michel Galy. On se contenterait de juger les sous-fifres". Selon lui, ce scénario ne serait "pas satisfaisant dans l'équité"

Tout dépendra du courage et de la marge de manœuvre du procureur de la CPI. Après le transfert de Laurent Gbagbo dans la nuit de mardi 29 à mercredi 30 novembre, ce dernier lançait un avertissement : "Monsieur Gbagbo est le premier à devoir rendre compte de ses actes. Il ne sera pas le dernier."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.