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Climat : ces cumuls de pluie "assez historiques" sont des "avertissements" d'un changement de système, alerte une hydrologue

Le territoire est en train de se transformer et il va falloir se préparer, affirme Emma Haziza, spécialiste de l’adaptation face au changement climatique.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Une montée des eaux à Moyen en Meurthe-et-Moselle, le 31 janvier 2021 (photo d'illustration). (NATHALIE BROUTIN / RADIOFRANCE)

Dix-neuf départements dans le nord et le sud-ouest du pays ont été placés en vigilance orange mardi 2 février pour risque de crues. Plusieurs cours d’eau débordent et des évacuations préventives ont été effectuées en Corrèze, qui était même en vigilance ludi soir. Pour Emma Haziza, hydrologue, spécialiste de l’adaptation face au changement climatique et présidente-fondatrice du centre de recherche Mayane, invitée sur franceinfo, ces phénomènes de crues "sont des avertissements très concrets du fait qu'on est en train de basculer vers un nouveau système".

franceinfo : On est dans un phénomène classique ou est-ce que les précipitations ont été plus fortes que d'habitude cet hiver ?

Emma Haziza : En fait, on a plusieurs petits signaux. Par exemple, le nombre de jours de pluie qui ont dépassé sur Paris 5 mm, donc 5 litres d'eau par mètre carré, est plutôt aux alentours d'une vingtaine de jours alors qu’en moyenne, on en a une dizaine. Donc, on a quand même des cumuls qui sont assez historiques sur certaines zones en France, notamment sur Paris entre décembre et janvier. C'est quand même exceptionnel d'avoir jusqu’à 200 millimètres de pluie. Cela fait partie d'une crue typique hivernale mais ce qu'il va falloir suivre, c'est vraiment les jours à venir. On va essayer de comprendre si des paramètres aggravants vont arriver pour transformer la situation qui, pour le moment, est assez critique parce que les territoires sont saturés en eau. La zone aquitaine, qui a été particulièrement touchée, est une zone qui n'avait pas subi la sécheresse pendant cet été, qui avait été particulièrement arrosée. Cela explique aussi notamment les réactions hydrologiques assez importantes sur toute la zone de la Garonne.

Tout le pays a été plus arrosé que d’habitude cet hiver ?

Tout le pays est concerné par ces extrêmes de pluies. En ce moment, il pleut trop, parfois il pleut trop peu, donc on alterne entre ces extrêmes. Maintenant, il va falloir suivre pour voir si ces crues deviennent significatives, historiques par endroits. Une crue, ce n’est pas un problème, en fait. Ce qui est un problème, c'est quand il y a une inondation, c'est à partir du moment où il y a une surverse des berges, des dommages humains et matériels. Tant que la crue est contenue, cela reste de l'ordre de naturel des choses.

Les nappes phréatiques sont-elles pleines ?

On voit qu'on a des territoires qui sont complètement saturés en eau. On est à chaque fois sur des scénarios différents. Par exemple, la Seine continue inexorablement à monter. On était ce mardi matin à 4,19 mètres. On était à 2,90 mètres il y a deux jours !

"Même si on n'est pas, ni sur le scénario de 2018, ni sur le scénario de 2016, on est effectivement sur un territoire qui est gorgé d'eau. À chaque nouvelle pluie, l'eau n'aura plus de possibilité de pénétrer dans les sols."

Emma Haziza, hydrologue

à franceinfo

Cet effet de ruissellement cumulé va venir s'additionner, rejoindre le réseau hydrographique et donc faire gonfler ces cours d'eau. Tant que les ouvrages tiennent et qu'en fin de compte, le réseau hydrographique, tous ces fleuves et ses affluents, est maîtrisé, il n'y a pas de problème majeur. C'est à partir du moment où on commence à avoir des brèches dans les digues que là, on commence à avoir des problèmes.

Est-ce qu’on peut dire que les agriculteurs ne manqueront pas d'eau cet été ?

On ne peut pas dire ça, tout simplement parce qu'en 2018, quand on a une grande crue de la Seine avec trois semaines de pluies continues, on s’est dit qu’on démarrait un printemps avec un excédent d'eau. En 2020, on a démarré notamment le printemps avec 30% de recharge supplémentaire au niveau de nos nappes et on se rend compte que chaque année, en fait, on a un scénario qui se rejoue. Il suffit d'une canicule, d’un vent très sec, d'une sécheresse continue pour, à un moment donné, faire basculer la situation. Il suffit de regarder cette année : on avait jusqu'à 85% de déficit de pluies au mois de juillet ce qui nous a fait basculer dans un état de sécheresse encore inconnu. Donc, à chaque fois, le scénario se rejoue, mais par contre, on a une somme de signaux faibles qui arrivent et qui nous montrent que le territoire est en train de se transformer. Ce sont des avertissements très concrets du fait qu'on est en train de basculer vers un nouveau système. Et d'ailleurs, le fait que 2020, 2018 et 2019, soient les trois années les plus chaudes enregistrées, montrent qu'on est en train de basculer vers un nouveau système et il va falloir s’y préparer.

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