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"On est des victimes collatérales et c'était le but", se désole un restaurateur trois mois après l'attentat de Nice

Les hôteliers et restaurateurs de la promenade des Anglais subissent toujours le contrecoup économique de l'attaque qui a fait 86 morts le soir du 14-Juillet.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La promenade des Anglais à Nice (Alpes-Maritimes), le 14 octobre 2016. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCEINFO)

"L'été avait bien commencé. Il était un peu en retard, mais les affaires marchaient bien. Et puis c'est arrivé. Ce n'est pas de la faute des médias, ce n'est pas de la mienne. C'est juste ce monde de fous. Depuis, c'est l'enfer." Trois mois après l'attentat qui a frappé la promenade des Anglais, le soir du 14 juillet à Nice, faisant 86 morts, ce restaurateur installé sur "la Prom'" se désole. 

Depuis l'attaque, son chiffre d'affaires n'a cessé de chuter : "-30% en juillet, -36% en août, -50% en septembre", énumère-t-il. Il estime avoir perdu 130 000 euros en trois mois. "Autant de pertes, c'est catastrophique et ce n'est pas fini", se lamente-t-il. En ce vendredi 14 octobre, des trombes d'eau s'abattent sur la Riviera et rares sont les touristes étrangers à se risquer dans les rues. 

"On ne sait pas comment on va faire"

Le restaurateur s'en veut de parler d'argent, lorsque d'autres ont perdu la vie ou leurs proches. "C'est glauque, concède-t-il. On est des victimes collatérales et c'était le but." Une victime économique qui confie vomir deux fois par jour et ne plus beaucoup dormir la nuit, face à ses soucis d'argent. "On ne sait pas comment on va faire. On est obligé de s'endetter à nouveau, mais la banque ne veut plus prêter. On est en train de se poser la question de lancer un plan de sauvegarde ou de se mettre en redressement judiciaire, pour gagner du temps. Si on dépose le bilan, on va perdre beaucoup d'argent." Avec son associé, ils ont investi un million d'euros, à crédit, pour lancer leur restaurant.

L'un des mémoriaux improvisés en hommage aux victimes de l'attentat du 14-Juillet, le 14 octobre 2016 sur la promenade des Anglais à Nice (Alpes-Maritimes). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCEINFO)

"Ce soir-là, il y en a qui sont morts. Nous, on est sous la torture, on meurt à petit feu", déclare Salem Tarek, le patron de La canne à sucre. Avant l'attentat, le presque septuagénaire était en train de vendre son établissement et de songer à sa retraite. Depuis, la vente a pris du retard et les comptes ne sont pas florissants. "Si je perds mon affaire, je perds cinquante ans de travail", lâche avec son accent égyptien ce "Niçois de cœur".

Aujourd'hui, il est en colère. Il regrette que les restaurateurs et serveurs de "la Prom'" n'aient pas été tous invités à la cérémonie d'hommage national aux victimes de l'attentat, organisée samedi 15 octobre sur la colline du Château, qui surplombe la promenade des Anglais. Il peste aussi contre ceux qui tentent, assure-t-il, de s'enrichir en réclamant des indemnisations indues et jouent, selon lui, les héros devant les caméras, alors qu'ils n'étaient pas là au soir du 14-Juillet. "J'étais dehors. Je pensais que c'était une bagarre. J'ai mis trois jours à réaliser", confie-t-il. 

Promo sur le quatre étoiles

Même l'hôtellerie de luxe n'est pas épargnée. Un hôtel quatre étoiles du front de mer a dû revoir les tarifs de ses chambres à la baisse pour maintenir son taux d'occupation pendant la haute saison. L'établissement reconnaît qu'il a ainsi dû cibler la clientèle habituelle des hôtels trois étoiles. Derrière le comptoir d'accueil d'un double étoilé de la promenade, un gérant, l'air las, se plaint d'avoir eu 33% de réservations en moins cet été. L'an passé, il était plein jusqu'à la mi-octobre. Aujourd'hui, seules deux chambres sont occupées. "J'espère ne pas avoir à déposer le bilan", conclut l'homme qui vient de rependre l'établissement et a un crédit sur le dos.

Au Negresco, on ne fait aucun commentaire sur les chiffres de fréquentation et on s'attache à véhiculer "un message d'amour, de paix et de fraternité". Dans le hall, la photo d'une main tenant un galet en forme de cœur sur fond de mer azuréenne est là pour le rappeler. Et au Palais de la Méditerranée, le casino Partouche avoue un "léger déficit" durant l'été.

L'Observatoire du tourisme de la Côte d'Azur a chiffré la baisse de fréquentation à Nice. Il y a eu 12% de visiteurs étrangers en moins en juillet et en août. Le taux d'occupation des chambres d'hôtels est tombé à 81% en juillet - une chute de 8 points - et 78% en août - une baisse inédite pour ce mois et un taux jamais vu depuis 1996. Dans l'hôtellerie, les nuitées ont également dégringolé de 12% en juillet et 13% en août. Toute la région a été impactée. Elle a perdu trois millions de nuitées en juillet et août par rapport à l'an passé. La fréquentation dans le luxe a fondu de 18%.

Mesures et fonds de soutien

Pour soutenir son secteur touristique, la ville de Nice a créé deux fonds économiques de soutien. Un fonds d'urgence d'abord, avec un peu plus de 600 000 euros, destinés aux 42 établissements de la promenade des Anglais qui ont accueilli des victimes le soir de l'attentat. Hôtels, restaurants, plages privées, commerces toucheront 500 euros par salarié, 50 000 euros maximum. La municipalité a également créé un fonds exceptionnel de deux millions d'euros pour toutes les entreprises de la zone touristique qui ont subi une perte d'au moins 20% de leur chiffre d'affaires sur la saison estivale

La région n'est pas en reste. Via un fonds de garantie, soutenue pour moitié par la Banque publique d'investissement (BPI France), elle s'engage à garantir à hauteur de 70% tous les prêts bancaires contractés par les entreprises victimes de l'attentat pour deux à sept ans. Et les PME peuvent aussi demander à bénéficier d'un prêt à taux zéro.

Une peinture célébrant la paix, le 14 octobre 2016, sur la promenade des Anglais à Nice (Alpes-Maritimes), après l'attentat du 14-Juillet. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCEINFO)

Mais pour ce restaurateur de la promenade, "c'est un geste dérisoire". Lui a calculé qu'il n'allait percevoir que 7 000 euros. "Ce sont des mesures qui ont été prises très vite pour répondre à l'anxiété collective, estime-t-il. Ils savaient qu'il y aurait un impact, mais ils ne pensaient pas qu'il serait aussi important."

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