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Abstention, campagne tronquée, calendrier inédit... Que valent ces élections municipales bouleversées par la crise du coronavirus ?

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Masques, visières, parois en plexiglas : un dispositif sanitaire complet était mis en place dans ce bureau de vote parisien, le 28 juin 2020, pour le second tour d'élections municipales perturbées par la crise sanitaire. (BERTRAND GUAY / AFP)

Pour les politologues interrogés par franceinfo, difficile de désigner des bénéficiaires clairs de la faible participation ou de l'étrange contexte de la campagne. Le peu de surprises, dimanche, témoigne plutôt de l'impact limité de l'épidémie sur le vote.

Vous êtes allé voter pour élire votre maire ? Vous faites partie d'une minorité de Français, et c'est inédit. Quelque 59% des électeurs se sont abstenus au second tour des élections municipales, dimanche 28 juin, selon une estimation Ipsos/Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France et les chaînes parlementaires. C'est encore plus qu'au premier tour (54,5%), et incomparable avec le second tour de 2014 (37,9%). Ce n'est pas la seule chose qui ne tourne pas rond dans le déroulement de ce scrutin. Il se déroule en pleine pandémie mondiale – la crainte du coronavirus était d'ailleurs citée par 43% des abstentionnistes comme une des raisons pour lesquelles ils sont restés chez eux dimanche (contre 39% au premier tour), selon un sondage Ipsos/Sopra Steria.

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Jamais non plus on n'avait vu un second tour organisé plus de trois mois après le premier. Ni une campagne d'entre-deux-tours effectuée sans meetings ni porte-à-porte, distanciation sociale oblige. Mais dans ces conditions très perturbées, quelles conclusions peut-on tirer des résultats – pourtant historiques – de ce second tour ? L'émergence spectaculaire des écologistes dans les grandes villes, la résistance du PS et de LR, la claque subie par LREM et le bilan contrasté du RN sont-ils faussés par le fait que rien, de la campagne à la mobilisation des électeurs, ne s'est passé comme prévu ?

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"Une abstention plus élevée dans les quartiers aisés et urbains"

Dimanche, de nombreux responsables politiques ont déploré la participation en berne, notamment jugée "préoccupante" par Emmanuel Macron. Mais difficile de déterminer si elle a pu avantager un camp politique en particulier, estiment les deux analystes interrogés par franceinfo. "Au premier tour, les sondages montraient que les seniors", plus vulnérables au virus, "s'étaient moins déplacés qu'habituellement", rappelle Vincent Tiberj, sociologue spécialiste du vote à Sciences Po Bordeaux. Mais plus largement, on constatait "une abstention plus élevée dans les quartiers aisés et urbains" : un portrait-robot qui peut correspondre à l'électorat de droite mais aussi, par certains aspects, à celui d'EELV ou de LREM.

Globalement, les groupes qui ont moins voté qu'habituellement, notamment pour des raisons sanitaires, sont ceux qui en temps normal se mobilisent le plus, ce qui fait évoquer au sociologue une forme de "lissage" des différences habituelles de participation. Aux yeux de son confrère Florent Gougou, chercheur en sciences politiques à Sciences Po Grenoble, "cette abstention a plutôt corrigé une grande inégalité habituelle" qui donne à l'électorat aisé et âgé beaucoup de poids dans les urnes. Les résultats seraient donc "presque un peu plus représentatifs" de l'opinion de l'électorat que lors des précédents scrutins.

Le virus n'a cependant pas fait qu'éloigner certains électeurs des urnes : il a aussi perturbé la campagne d'un entre-deux-tours qui n'en était pas vraiment un. "Il n'y a pas eu ce moment d'effervescence où on assiste à la fusion des listes et à un combat avec une forte intensité", constate Florent Gougou. A l'exception notable de Toulouse, où la participation a bondi de huit points par rapport à mars dans un contexte où le maire sortant Jean-Luc Moudenc était menacé, la mobilisation des électeurs a peu changé, même dans les scrutins à fort enjeu. Dans des médias préoccupés par la pandémie et ses fortes conséquences économiques, "le bruit de la campagne a été noyé", constate Vincent Tiberj. "Même dans la presse régionale, il n'a pas été facile de faire de la place aux municipales, d'autant qu'il n'y avait pas de meetings". Le chercheur pointe également les résultats du sondage mensuel d'Ifop sur les conversations des Français : en juin, selon l'institut, seuls 42% des sondés ont discuté autour d'eux des municipales, plaçant le scrutin très loin, dans l'ordre de leurs priorités, de la crise sanitaire et économique.

Les résultats du second tour confirment ceux du premier

Tout juste les trois mois de pause entre les deux votes ont-ils laissé le temps à quelques rebondissements d'avoir lieu. A Paris, la candidate LREM Agnès Buzyn a eu le temps d'affirmer au Monde que l'élection pour laquelle elle faisait campagne aurait dû être annulée - mais son score du premier tour l'avait déjà condamnée à la défaite - et, à Marseille, plusieurs enquêtes ont révélé des soupçons de fraude aux procurations dans le camp de Martine Vassal (LR) qui n'auraient peut-être pas eu le temps d'être dévoilés si le scrutin avait eu lieu le 22 mars. "Avoir trois mois entre les deux votes peut, en cas d'événement de campagne bien particulier, avoir fait reconsidérer les choses", estime donc Vincent Tiberj. A Marseille, les résultats étaient encore trop incertains, dimanche soir, pour évaluer l'impact des affaires. A Paris, en revanche, Agnès Buzyn a peut-être payé cet entre-deux-tours, réalisant un score bien moindre qu'en mars, malgré le retrait de Cédric Villani, et échouant à être élue au Conseil de Paris.

Reste que, dans l'ensemble, les résultats du second tour ont confirmé ceux du premier. "Ce soir, je n'ai rien vu de surprenant dans les résultats", estime Florent Gougou. Ce qui met à mal l'idée que le contexte de l'élection aurait faussé son résultat. L'impossibilité d'organiser des meetings ou de mener une campagne de terrain classique n'a pas eu d'impact flagrant – "la science politique a montré depuis longtemps que cela servait davantage à mobiliser ses militants qu'à convaincre de nouveaux électeurs", rappelle le chercheur. Les distributions de masques par certains maires sortants ou candidats, très commentées pour leur potentiel clientéliste, n'ont pas non plus eu d'impact flagrant –, même si des juristes imaginent déjà que certains cas puissent finir devant la justice. Rien ne dit qu'un candidat bénéficierait d'une telle initiative, estime de toute façon Vincent Tiberj : "Les masques, c'est à double tranchant, on peut juger que le maire fait bien son boulot, mais aussi qu'il tente de se créer une clientèle". Plus largement, il estime que "les gens savent ce qu'ils aiment et n'aiment pas chez leur maire sortant. Six ans de bilan comptent plus que ce qu'ils ont vu pendant la crise".

"Le Covid ne profite à personne"

Les thèmes qui ont pris une place croissante dans les préoccupations des Français – la santé publique, la gestion de la crise économique... – ont été récupérés par certains candidats mais, là encore, pas au point d'inverser les tendances du second tour. "Quand on regarde les sondages, le Covid ne profite à personne", remarque Vincent Tiberj. Le faible nombre de candidats LREM en lice dimanche limitait aussi la possibilité d'un vote sanctionnant ou récompensant la gestion de crise du gouvernement. "Si les maires avaient eu beaucoup de marge de manœuvre" pour lutter contre l'épidémie, les électeurs auraient pu "les récompenser ou les punir" dans les urnes, estime Florent Gougou. La gestion très centralisée de la crise a écarté ce cas de figure.

Certains candidats ont tout de même tenté de faire évoluer leur campagne pour s'adapter au nouveau contexte. Ainsi, à Strasbourg, Le Monde raconte que les candidats LREM et LR, distancés par l'écologiste Jeanne Barseghian au premier tour, avaient tout misé sur la relance économique, et présenté leur programme d'alliance devant un magasin ayant mis la clé sous la porte. Ils n'en ont pas moins subi une lourde défaite dimanche"On aurait pu imaginer qu'une demande d'ordre et d'une relance économique puissante écarte la question écologique dans l'esprit des électeurs. Ce n'est pas la réponse qu'ils ont donnée, constate Florian Gougou. Ils n'ont manifestement pas du tout pensé que les écologistes n'étaient pas crédibles sur ce terrain."

"Les municipales ne disent rien d'une présidentielle"

Quel que soit le contexte particulier, les grands enseignements politiques de ce scrutin ne sont pas erronés, estiment donc les deux politologues. Pandémie ou non, "que LREM ne gagne pas de ville majeure, c'est quand même un signe", note Vincent Tiberj, d'autant que le parti avait notamment construit son succès de 2017 sur l'électorat des grandes villes. "La montée des Verts et la résistance des sortants, tant à gauche qu'à droite, qui nuancent l'idée que ce clivage est dépassé", lui semblent des leçons qui résistent à la particularité de cette élection.

S'il y a un biais, il tient, aux yeux de ces spécialistes, davantage aux particularités des élections municipales. "Il faut plutôt prendre les résultats avec des pincettes parce que les municipales ne disent rien d'une présidentielle", avertit Florent Gougou, qui rappelle que "les défaites locales" du Rassemblement national, par exemple, "ne l'empêchent pas d'être au second tour" d'une présidentielle. Le second tour des municipales est d'autant plus particulier qu'il concerne 13% des communes et 38% de la population, rappelle Le Monde, et essentiellement des grandes villes, dont l'électorat a ses spécificités. Ce qui explique que dimanche soir, sur les plateaux, les responsables politiques souhaitant défendre des résultats décevants en soient souvent revenus à un argument plus classique que celui de la pandémie : le caractère local de l'élection.

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