Cet article date de plus de trois ans.

"Vous mettez un post sur Facebook, vous allez en prison" : en Algérie la répression se durcit et pousse les médias à l'autocensure

Deux journalistes sont jugés cette semaine pour avoir rendu compte du mouvement anti-régime. Et le gouvernement entend désormais réprimer plus largement toute forme d'expression libre sur les réseaux sociaux.

Article rédigé par franceinfo - Nathanaël Charbonnier
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des manifestants demandent la libération du journaliste Khaled Drareni à Alger, le 8 septembre 2020. (RYAD KRAMDI / AFP)

La répression continue de se durcir en Algérie où le pouvoir multiplie les arrestations et les procès. Lundi 14 septembre, Karim Tabbou, l’une des figures du Hirak, le mouvement anti-régime est jugé en appel pour "atteinte au moral de l'armée". La semaine dernière c’est le journaliste Khaled Drareni qui était poursuivi pour avoir couvert les manifestations populaires. Il sera jugé mardi et risque jusqu’à quatre ans de prison ferme.

Armée et gouvernement, sujets tabous

Le nouveau pouvoir veut museler toutes les voix discordantes à commencer par celles de la presse. Toute critique du régime algérien émise peut se retourner contre son auteur et les journalistes qui prennent le risque de parler comme Akram, journaliste indépendant, pèsent chaque mot prononcé.

L’autocensure est malheureusement nécessaire. Elle n’est pas importante, elle est nécessaire si on ne veut pas avoir de démêlés avec la justice.

Akram, journaliste algérien

à franceinfo

"Il faut se fixer des limites et généralement les limites que l’on se fixe soi-même sont toujours beaucoup plus prudentes que les limites réelles et donc ça influe aussi sur la qualité de l’information que l’on délivre", estime le journaliste.

Pour raconter la dictature algérienne, il faut donc s’éloigner du pays, s'exiler comme l’a fait Abdallah Bena Douda. Depuis les États-Unis, il anime Radio Corona internationale qui brocarde le régime et parle des sujets interdits en Algérie. "On ne peut pas dire la vérité, on ne peut pas critiquer l'action du gouvernement. Il y a des sujets tabous, bien sûr, on ne peut pas parler du rôle de l'armée dans la gestion du pays, beaucoup de choses, explique Abdallah Bena Douda. Khaled Drareni représente ce qu'ils aiment le moins puisqu’il était correspondant de médias étrangers. Forcément, la voix du peuple résonnait dans les médias à travers le monde, et ça, ça ne faisait pas plaisir."  

Même les lecteurs sont menacés

Et il n’y a pas que le journaliste Khaled Drareni qui soit inquiété. Certains journaux sont sous surveillance, d’autres sont asphyxiés financièrement. D’une manière générale, la liberté de la presse n’existe pas en Algérie. En fait, c’est même la liberté d’expression du peuple dans son ensemble qui est malmenée. Toute personne est susceptible de devoir rendre des comptes au pouvoir. C’est en tout cas ce qu’explique Mohamed Benchicou, auteur du livre "Le mystère Bouteflika". Il est allé en prison et connaît bien les rouages du régime algérien. "Vous mettez un post sur Facebook, vous allez en prison. Ce qui a changé, c'est que ce n'est plus nécessairement les journalistes qui font l'information, ce sont les lecteurs, analyse l'essayiste. Et ça, avec les ramifications des réseaux sociaux, c'est un danger que le gouvernement Tebboune [Abdelmadjid Tebboune, le président algérien] est décidé à combattre."

Certains avocats se battent pour dénoncer cette répression en tentant de faire passer le droit malgré la dictature. "Dénoncer, faire savoir, informer l'opinion publique, c'est notre devoir, estime l’avocate Zoubida Assoul. Dire que ce sont des dossiers fabriqués par les services de sécurité sous l'ordre des politiques qui sont en place, mais aussi que ces poursuites-là, ces incarcérations, sont beaucoup plus des procès politiques que des procès judiciaires." 

Le président Tebboune veut asseoir son pouvoir

Combien de personnes sont aujourd’hui détenues en Algérie pour avoir franchi la ligne tracée par le pouvoir ? La Fédération internationale pour les droits humains (Fidh) suit actuellement 21 dossiers et Amnesty internationale plusieurs dizaines. Mais ils seraient beaucoup plus nombreux. La répression concerne tout le monde, politiques, militants, journalistes et les nombreux procès qui se déroulent actuellement interviennent dans un moment particulier. Celui d’un régime qui veut faire croire que la révolution algérienne est terminée.

Il y a un nouveau président, une nouvelle constitution est annoncée pour novembre mais tout cela ne serait que théâtre et affichage, selon Kader Abderrahim, auteur de "Géopolitique de l’Algérie". Pour l’écrivain et chercheur, le nouveau président Tebboune souhaite avant tout asseoir son pouvoir dans le pays. "Il y a eu deux temps, le premier temps, c'était d'éliminer les hommes qui étaient fidèles à l'ancien régime du président Bouteflika, qu'ils soient militaires ou politiques, explique Kader Abderrahim. Et maintenant, il s'agit pour le nouveau président Tebboune de marquer très nettement son territoire et de faire en sorte que la presse ou les associations ou les ONG comprennent exactement quelles sont les limites. Mais cette répression, de toute manière, n'épargnera personne parce que l'Algérie est aujourd'hui totalement isolée", se désespère l'intellectuel algérien.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.