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RECIT. "On n'a pas tué d'homme, juste un ours" : quatorze ans après, la mort de Cannelle hante toujours la vallée d’Aspe

Thomas Baïetto le lundi 30 avril 2018

L'ours Cannelle, en 2004 dans la vallée d'Aspe. (JEAN-JACQUES CAMARRA / ONCFS EQUIPE OURS)

Sur le sentier étroit, il y a tout juste la place pour poser un pied devant l'autre. La neige molle de cette mi-avril menace un peu plus notre équilibre. "C'est très raide par ici. Par endroit, c'est du 70%. Il faut bien taper avec le pied quand vous marchez pour ne pas tomber", conseille Jean-Marc Etxezaharreta, notre guide. Après avoir dépassé un hêtre marqué d'un trait rouge, il s'arrête et pointe un bosquet en contrebas. "Voilà, c'est quelque part par là, resitue-t-il. Il m'a dit : 'C'est là que j'ai tué l'ourse.'"

Nous sommes au col de Couret, qui culmine à 1 296 mètres d'altitude, dans le secteur de "la Deux", une forêt de hêtres et de sapins. Devant nous, en contrebas, les gorges d'Enfer. Sur notre gauche, la cabane du Rouglan, où réside notre guide, et, à flanc de montagne, le fort du Portalet, connu pour avoir servi de prison à Léon Blum et au maréchal Pétain. A droite, le Pas-de-l'ours, un improbable chemin tracé à même la falaise. Derrière nous, en bas d'un mauvais sentier de pierres, Urdos, le plus haut village de la vallée d'Aspe. Dans le ciel, des vautours dessinent des cercles. C'est dans ce beau décor du Haut-Béarn que l'ours des Pyrénées a disparu. Le 1er novembre 2004, un chasseur d'Urdos a abattu Cannelle, la dernière ourse pyrénéenne. "Une grande perte pour la biodiversité", avait réagi le président Jacques Chirac.

>> GRAND FORMAT. "Si l'ours disparaît, mon métier va mourir" : le plaidoyer d'une bergère en Béarn

Quatorze ans plus tard, cette "perte" est sur le point d'être, en partie, compensée. En mars, le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a annoncé la réintroduction de deux ourses femelles dans les Pyrénées-Atlantiques à l'automne 2018. L'objectif affiché est de donner une chance à Cannellito, l'ourson de Cannelle à moitié slovène, de se reproduire et de transmettre les derniers gènes de l'ours des Pyrénées. Mais l'annonce a réveillé les anti-ours. La tension monte dans les vallées.

"Une ourse de petite taille, une coloration fauve, des pattes noires"

Jean-Marc Etxezaharreta sur les hauteurs d'Urdos (Pyrénées-Atlantiques), le 12 avril 2018. (THOMAS BAÏETTO / FRANCEINFO)

Oh là là, si je m'en souviens…" Dans le salon de son domicile d'Ogeu-les-Bains, Gérard Caussimont observe un moment de silence. En quarante ans de militantisme pour l'ours et les bergers au sein du Fonds d'intervention écopastoral (Fiep), ce professeur d'espagnol a marché des kilomètres et des kilomètres sur les traces du plantigrade pour le réseau Ours brun (ROB). Pièges photographiques à relever, crottes à analyser, poils à ramasser, traces à repérer… De mai à novembre, les membres de ce réseau, composé de professionnels et de bénévoles, arpentent les montagnes pour documenter la présence d'Ursus arctos, son nom latin, dans les Pyrénées. Mais ce 30 octobre 2004 restera pour lui un"circuit" particulier. Ce jour-là, Gérard Caussimont est à Urdos avec trois de ses collègues. On leur a signalé la présence de Cannelle et son ourson au-dessus du village.

Dernière ourse de souche pyrénéenne depuis la mort accidentelle de Papillon en juillet, cette femelle d'une douzaine d'années est suivie avec soin par le réseau. Pour ces amis de la nature, l'ours est une "espèce parapluie", dont la protection bénéficie à l'ensemble de la faune et la flore locale. Avec Papillon, Cannelle formait "un peu le couple mythique des derniers ours pyrénéens", expliquait en 2013 Jean-Jacques Camarra, responsable du ROB, dans le documentaire On l'appelait Cannelle diffusé sur France 3. Ce très bon connaisseur de l'ours pyrénéen avait eu l'honneur de baptiser l'animal en 1994. "Le nom m'est venu comme ça, la couleur du pelage", se rappelle ce fonctionnaire de l'Office national chasse faune sauvage (ONCFS), après avoir décrit "une ourse de petite taille, comme sont souvent les ourses, beaucoup plus petites que les mâles, une coloration fauve, des pattes noires". L'animal mesurait 75 cm au garot et pesait, selon les estimations, autour de 70-80 kg.

Elle était vraiment très belle, elle avait une silhouette un peu ronde.

Jean-Jacques Camarra, responsable du réseau Ours brun, sur France 3.

Dans la matinée, avant de débuter le circuit entre Urdos et Etsaut, Gérard Caussimont tombe sur Francis Claverie, un chasseur de la commune. "Nous lui avons demandé de s'abstenir de chasser dans le secteur où Cannelle et son ourson étaient signalés", témoigne aujourd'hui le président du Fiep. Sur une carte IGN, il retrace avec le doigt l'itinéraire suivi ce jour-là. "Dans ce bois, il y avait énormément de faines, le fruit du hêtre. On y a trouvé des crottes d'adulte et de petit, avec des faines à l'intérieur", se souvient-il en montrant une zone située sous le col de Couret. Comme ses congénères, Cannelle se nourrit à 80% de végétaux. "Il y avait aussi plusieurs 'couches', des dépressions près des sapins que l'ours forme pour dormir", raconte-t-il.

Tout indique qu'ils sont dans ce bois depuis plusieurs jours. Certaines déjections datent de la veille. "Quand on a vu ça, on a immédiatement quitté les lieux, on ne voulait surtout pas les déranger. Elle avait trouvé un endroit tranquille, bien exposé, avec énormément de nourriture", explique Gérard Caussimont. En descendant, il téléphone à Jean-Jacques Camarra, qui prévient les chasseurs. Une charte, signée en 1994 par leur fédération, prévoit la suspension de toute battue en cas de présence de l'ours. Gérard Caussimont soupire : "Le lundi, ils y sont allés quand même..."

"J'ai tiré sur l'ourse"

Le chasseur René Marquèze avec un gendarme, le 8 novembre 2005 lors de la reconstitution de la mort de Cannelle à Urdos. (JEAN-LOUIS DUZERT / AFP)

Il est l'homme qui a vu l'ourse le premier cet après-midi du 1er novembre 2004. Accoudé au comptoir de l'hôtel des voyageurs devant un café, Francis Claverie, l'un des six chasseurs, raconte cette battue fatale pour Cannelle. Ce lundi de Toussaint, son cousin Bernard, président de l'Association communale de chasse agréée (Acca) d'Urdos, appelle à la prudence, car l'ours est signalé dans le secteur. "J'étais le traqueur, celui qui rabat les bêtes. Je suis parti du bas avec les chiens", retrace Francis Claverie. Les autres, des "postiers", attendent le gibier sur la crête. "Un des chiens a aboyé, je me suis approché en pensant que c'était un sanglier. C'était un ours. Il a attrapé le chien avec ses pattes et il l'a mis dans sa gueule", poursuit ce pompier de profession. Francis Claverie crie, tire en l'air. L'ourse relâche le fox-terrier, s'éloigne, puis revient à la charge. "Elle s'est mise sur ses pattes arrière. Elle était à trois ou quatre mètres. J'ai enlevé ma veste et je lui ai lancé pour lui donner l'odeur", se souvient le chasseur. Il tire à nouveau en l'air. Cannelle s'enfuit.

Le chasseur grimpe la pente en courant. "Un peu blanc", il remonte un à un les postes de chasse pour prévenir ses collègues. "J'ai retrouvé tout le monde sauf René Marquèze", explique-t-il. Ce dernier a bien entendu les "vilains cris" et les coups de fusil, comme il l'a déclaré lors de l'enquête judiciaire. Il pense aussi à un sanglier. Près du couloir où il se trouve, René Marquèze aperçoit une ombre. Il se lève. "J'ai vu l'ourse longer la falaise. L'ourson était à 15 mètres. Milou, mon chien, s'est approché du petit. Il a aboyé, puis il est remonté aussi sec", raconte-t-il, en décembre 2004, à La République des Pyrénées. Pour protéger l'ourson, Cannelle s'en prend au chien.

La cabane du Rouglan (en contrebas) et le col de Couret (au fond), dans les Pyrénées-Atlantiques, le 12 avril 2018. (THOMAS BAÏETTO / FRANCEINFO)

Le chasseur de 62 ans s'enfuit. Sur ce terrain accidenté, il tombe, perd sa casquette et son fusil. Des ronces et des buis retiennent sa chute. Coincé sur une "niche en terrasse", il parvient après de longues minutes à joindre par téléphone l'un de ses camarades, qui lui promet de venir à la rescousse. Après avoir constaté que Cannelle est partie, René Marquèze s'extrait du précipice sans attendre, récupère son fusil et remonte. "Il y a un couloir que les sangliers empruntent et c'est là que je l'aperçois, à 40 m, les oreilles dressées, ses yeux comme des billes. Là, je me dis, ça y est, c'est fini pour toi. Pour moi, elle m'attendait", poursuit le chasseur. L'ours charge à nouveau. "Elle a bondi en grondant à une vitesse effroyable, comme un cheval au galop", assure René Marquèze. Alors qu'il sent l'animal se rapprocher dans son dos, il se retourne, le fusil calé contre la hanche et ouvre le feu. Cannelle s'écroule.

Je n’avais pas d’autres issue, c’était elle ou moi

René Marquèze, le chasseur qui a tué Cannelle, dans "La République des Pyrénées".

Ses camarades de battue arrivent peu après sur les lieux. "On l’a trouvé assis sur un caillou, la tête dans les mains, le fusil entre les jambes, mime Francis Claverie sur son tabouret de bar. Il était en train de pleurer, il nous a dit : 'J’ai tiré sur l’ourse.' C’était la première fois que je le voyais pleurer, c’est un gars costaud mentalement." Contrairement à leurs collègues de Borce, qui avaient tenté de cacher la mort de l’ourse Claude en 1994 avant d’être rattrapés par la justice, ils décident de prévenir les autorités.

La dépouille naturalisée de l'ourse Cannelle, le 7 octobre 2013 au muséum d'histoire naturelle de Toulouse (Haute-Garonne). (MAXPPP)

Il est 18 heures quand les gardes du parc national retrouvent le cadavre. "Les vautours lui avaient déjà enlevé le ventre", se souvient Francis Claverie. L’autopsie révèle que la balle est entrée en haut de la "partie thoracique latérale droite", a "brisé des côtes, pour ressortir au niveau haut du membre postérieur gauche". Les experts n’ont, en revanche, pas pu déterminer quelle distance séparait le tireur de Cannelle. En début de soirée, les chasseurs redescendent. "On a entendu l’ourson hurler de douleur. Ça m’a fait mal au cœur. Je me suis dit : 'Tu as tué sa mère, que va-t-il devenir ?' Et j’ai pleuré", se lamente encore René Marquèze.

Une bataille judiciaire de neuf ans

L'ourse Cannelle est naturalisée dans le laboratoire du muséum d'histoire naturelle de Toulouse (Haute-Garonne), le 11 avril 2013. (REMY GABALDA / AFP)

En bas, c'est l'incrédulité. "Pendant une heure, je me suis dit non, ce n'est pas possible. On savait où elle était", confie Jean-Jacques Camarra à France 3. A Paris, Serge Lepeltier, ministre de l'Ecologie, est "très ému". "Je savais que dans les Pyrénées, nous n'avions pas assez d'ours", relève-t-il. En 2004, selon les données compilées par l'ONCFS (PDF, page 31), une dizaine d'ours sont recensés dans le massif. Le préfet prend un arrêté pour interdire la chasse et la promenade avec chiens dans la zone où se trouve l'ourson. A l'époque, ses chances de survie sont minces. Cannellito fera mentir les statistiques.

L'affaire prend vite une ampleur considérable. Les journalistes se pressent dans la vallée. Des pattes d'ours et des tags "chasseurs assassins" fleurissent le long de la nationale 134 qui remonte la vallée jusqu'en Espagne. Le 4 novembre, le ministre de l'Ecologie monte au col de Couret. La dépouille de Cannelle est héliportée jusqu'au congélateur de l'école vétérinaire de Toulouse (Haute-Garonne). Le 7 décembre, René Marquèze est mis en examen pour "destruction d'espèce protégée". Le chasseur, défendu par Thierry Sagardoytho, plaide l'état de nécessité, défini par l'article 122-7 du Code pénal.

Pouvait-il faire autrement ? La réponse est malheureusement non.

Thierry Sagardoytho, l'avocat de René Marquèze, le chasseur qui a abattu Cannelle, dans "La République des Pyrénées".

Son procès s'ouvre le 12 mars 2008 devant le tribunal de grande instance de Pau. "Si je n'avais pas tiré, c'est elle qui serait ici et moi, au cimetière", se défend René Marquèze. Appelé à témoigner comme expert de l'animal, Jean-Jacques Camarra explique que "personne ne peut dire comment réagir face à un ours. C'est pire qu'une voiture qui vous arrive dessus." Mais il rappelle aussi que l'animal a l'habitude de "charger au bluff, venir au contact, mais sans toucher". "Il n'existe pas de faits qui attestent qu'une charge d'ours se soit terminée par la mort d'un homme dans les Pyrénées", appuie-t-il.

L'Etat, qui n'a pas interdit la chasse à cet endroit, est également pointé du doigt. Avocat du Fiep, Jean-François Blanco nuance ainsi la responsabilité du chasseur dans la disparition de l'espèce. "On ne doit pas faire porter à René Marquèze tout le poids de la disparition de l'ours dans les Pyrénées. C'est lui qui a donné le coup de grâce à Cannelle, mais concernant la disparition de l'ours, la responsabilité est collective", estime celui qui est aujourd'hui élu écologiste à la région Nouvelle Aquitaine. Le 22 avril, le tribunal reconnaît l'état de nécessité et relaxe le chasseur d'Urdos.

Le député Jean Lassalle (à gauche) et le ministre de l'Ecologie, Serge Lepeltier, le 9 mars 2006 à Urdos (Pyrénées-Atlantiques). (MAXPPP)

Cannelle continue cependant de hanter les tribunaux. Les associations poursuivent le chasseur et son association au civil. Le coup de fusil de René Marquèze remonte jusqu'à la Cour de cassation. Cette dernière reconnaît le 1er juin 2010 sa responsabilité et le condamne à verser 10 000 euros aux associations environnementales. La justice lui reproche d'avoir participé à la battue alors qu'il avait été averti de la présence de l'ours, puis d'avoir quitté la terrasse où il avait trouvé refuge alors que les secours arrivaient.

Pour les défenseurs de l'ours, c'est la décision de maintenir la battue malgré la présence de Cannelle dans ce secteur étroit qui pose toujours question. Les chasseurs se sont toujours défendus en expliquant que l'animal leur avait été signalé au col du Bendous, situé un peu plus haut. Ils pensaient qu'elle était partie sur les traces d'un troupeau qui venait de quitter la zone. Cette théorie ne convainc pas Gérard Caussimont. "Je ne les accuse pas d'avoir voulu tuer l'ourse", pose le président du FIEP, mais "soit ils ont voulu y aller pour défier l'Etat, pour lui dire 'ce n'est pas à vous de nous dire où chasser' ; soit ils y sont allés pour la faire partir." En 2013, l'Acca d'Urdos est condamnée à verser 53 000 euros de préjudice écologique.

"Le village a été catalogué comme celui des tueurs d'ours"

Francis Claverie pointe du doigt le col de Couret, près duquel l'ourse Cannelle a été tuée, le 12 avril 2018 à Urdos (Pyrénées-Atlantiques). (THOMAS BAÏETTO / FRANCEINFO)

Entre crainte et fascination, l'ours, dont la chasse n'a été interdite qu'en 1962, a toujours tenu une place importante dans l'imaginaire pyrénéen. En 1979, un habitant de la vallée d'Ossau, cité dans le livre Plaidoyer pour Cannelle, assurait que l'animal rendait l'homme muet : "Qu'il enlève la parole, ça, c'est vrai, ça, ce n'est pas des légendes ; j'en ai connu qui sont restés huit jours sans pouvoir parler." A Urdos, le sortilège semble toujours efficace, quatorze ans plus tard. Des six participants à la battue, seul Francis Claverie a accepté de nous parler. "Je n'en parle pas. Vous m'en parlez encore mais si ça avait été René [Marquèze] qui avait été tué, vous ne m'en parleriez plus", cingle l'un d'eux au téléphone. Dans son bureau de maire, Jacques Marquèze, neveu du chasseur condamné, n'est guère plus loquace. "Pour moi, c'est du passé. La manière dont on nous a houspillés, traités de tordus, de malfrats...", soupire-t-il.

On n'a pas tué d'homme, juste un ours. Quand on voit comment c'est monté aux tribunaux. C'était de la persécution.

Jacques Marquèze, maire d'Urdos et neveu de René Marquèze, le chasseur qui a abattu Cannelle

Pour ce village de 68 habitants, l'affaire reste un traumatisme. "Le village a été catalogué comme celui des tueurs d'ours, alors que ce n'était pas le cas", regrette Bruno Guitton, adjoint à la mairie. Petit-neveu de René et fils du maire, Eric Marquèze, 14 ans à l'époque, se souvient du téléphone débranché pendant une semaine pour échapper aux sollicitations des journalistes. Après le tsunami médiatique, les insultes. "Pendant trois ou quatre ans, j'ai reçu chaque 1er novembre une carte postale, qui me traitait de lâche et d'autres noms d'oiseaux", rapporte Francis Claverie. "On reçoit encore des menaces à la mairie", assure Jacques Marquèze. "Mon client a reçu des petits cercueils chez lui", raconte l'avocat de René Marquèze, Thierry Sagardoytho. "Au collège de Bedous, certains me disaient : 'Marquèze assassin', je ne le vivais pas très bien, se remémore Eric Marquèze. Qu'est-ce que j'ai à voir avec ça moi ? Je n'ai jamais tenu un fusil."

Le village d'Urdos (Pyrénées-Atlantiques) photographié depuis la cabane du Rouglan, le 12 avril 2018. (THOMAS BAÏETTO / FRANCEINFO)

René Marquèze a été durablement marqué par son geste. Un bon connaisseur de la vallée résume ainsi la situation : "Marquèze, c'est le fils d'un paysan qui, à l'époque, quand il rentrait triomphalement avec un ours mort, était reçu en héros et était récompensé. Lui n'a reçu que des menaces de mort. Il a changé de siècle d'un coup, cela a été très brutal." Une anecdote résume à elle seule le trouble de cet ancien fonctionnaire de l'équipement. En décembre 2004, lorsqu'il reçoit La République des Pyrénées chez lui, le chasseur prend le chien de la journaliste sur les genoux. Trituré pendant tout l'entretien par un René Marquèze très stressé, l'animal s'en sortira avec une patte cassée.

Une réintroduction qui s'annonce compliquée

Des manifestants pro-ours, dont Gérard Caussimont (à gauche de l'élu à l'écharpe tricolore) défilent à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), le 28 novembre 2004. (DANIEL VELEZ / AFP)

Ourses en peluche renommées Cannelle, pancartes "Les Pyrénées veulent des ours" ou "ourson cherche famille d'accueil"... Le 28 novembre 2004, les partisans de l'ours défilent dans les rues d'Oloron-Saint-Marie pour réclamer de nouvelles femelles. Quelques mois plus tard, en janvier 2005, le ministre Serge Lepeltier annonce son intention de lâcher cinq ours dans les Pyrénées, dont deux femelles dans le Béarn. Mais l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn, présidée par Jean Lassalle [qui n'a pas souhaité répondre à nos questions] et qui avait pourtant décidé en décembre de réintroduire deux ourses dans le département, refuse de suivre.

Jean Lassalle n'a jamais été sincère. Il s'est servi de l'ours pour obtenir des crédits et au dernier moment, il a fait marche arrière.

Gérard Caussimont

Des ours seront bien relâchés en 2006, mais loin des Pyrénées-Atlantiques. Quatorze ans après la mort de Cannelle, selon le dernier rapport Ours brun (PDF), il y a 41 spécimens dans le centre du massif, mais seulement deux mâles à l'Ouest, Néré et Rodri. Cannelle, elle, est empaillée au muséum d'histoire naturelle de Toulouse. La situation a poussé Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, à sortir du bois sur ce sujet sensible. "J'ai décidé de passer à l'offensive parce qu'il ne reste que deux mâles dans ce département, dont Cannellito, fils de Cannelle. Je ne veux pas être le ministre qui assiste à la disparition de cette lignée", explique-t-il le 27 mars dans Le Parisien. Deux femelles – un chiffre bien en deçà des préconisations scientifiques qui recommandent de réintroduire 15 ours dont cinq femelles – doivent arriver dans le département à l'automne. Elles n'y trouveront peut-être pas Cannellito. Signalé pour la dernière fois à Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne) le 21 juin 2017, le fils de Cannelle n'a pas attendu Nicolas Hulot pour partir à la recherche de femelles.

L'ours Diego, le 13 avril 2018 au Parc'ours de Borce (Pyrénées-Atlantiques). (THOMAS BAÏETTO / FRANCEINFO)

L'annonce a été accueillie avec une satisfaction prudente par les militants du plantigrade, qui ont vu d'autres ministres faire de même. "Remplacer deux malheureuses ourses tuées par la main de l'homme semble plus difficile que de faire la réforme des retraites comme l'a fait Nicolas Sarkozy ou d'augmenter les impôts comme l'a fait François Hollande", ironise Gérard Caussimont. Pour les partisans de la réintroduction, tous les ingrédients sont cette fois réunis : l'opinion départementale, sondée par l'Ifop en février, est prête, les bergers sont désormais bien accompagnés et indemnisés, certains sont favorables à l'animal, le pastoralisme béarnais, qui impose de réunir les bêtes le soir pour la traite, est compatible avec l'ours et il n'y a pas eu d'attaques depuis 2015.

En face, les anti-ours, qui manifestent lundi 30 avril à Pau, ne veulent pas entendre parler de réintroduction et pointent les attaques contre les brebis en Ariège. Ils peuvent compter sur le soutien des parlementaires du département, opposés à la réintroduction. "Le risque de voir le sang couler est de 8 sur une échelle de 10. Parce qu’il y a une radicalisation", a même estimé Jean Lassalle le 23 avril à l'issue d'une réunion à la préfecture dans des propos repris par France 3. Le maire d'Urdos ne veut pas non plus en entendre parler. "Je n'y suis pas favorable, vu ce qu'il s'est passé il y a quatorze ans. Je ne veux pas qu'on envoie des gens au tribunal. Fatalement, il y aura des accidents", estime Jacques Marquèze. "La réintroduction, ça ne sert à rien, balaye Francis Claverie. S'il revient, on ne pourra plus chasser le sanglier et ils prolifèreront." D'autres, comme Bruno Guitton, sont plus mesurés.

J'aurais été en faveur de la réintroduction si ce n'avait pas été une décision politique, mais une vraie décision de concertation. Ce qui n'est pas vraiment le cas.

Bruno Guitton

Aujourd'hui dans la vallée d'Aspe, il y a davantage d'ours derrière les barrières du zoo de Borce qu'en liberté. Au Parc'ours, trois plantigrades slovènes, Diego, Myrtille et  Ségolène tracent des ronds dans l'herbe en attendant les visiteurs. Sur la nationale 134, le panneau d'intérêt touristique et culturel du village est un bon indicateur de la tension provoquée par l'animal. Un ours s'y promène devant la maison forte et l'église du village pour annoncer le parc animalier. Sa tête est criblée de plomb.

Le panneau d'intérêt touristique et culturel du village de Borce (Pyrénées-Atlantiques), le 12 avril 2018. (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

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