Cet article date de plus de quatre ans.

Johnny Hallyday, Prince, Leonard Cohen... Trois questions sur le business des albums posthumes

Dernier exemple d'une série en cours : l'album "Johnny, comme vous ne l'avez jamais entendu" qui sort vendredi 25 octobre, presque deux ans après la mort de Johnny Hallyday.

Article rédigé par Ersin Leibowitch, Yann Bertrand
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une statue de Johnny Hallyday, installée en juin 2018 à Viviers, en Ardèche. (NATHALIE RODRIGUES / FRANCE-BLEU DRÔME-ARDÈCHE)

A en croire le rythme de sortie des albums de Johnny Hallyday, le chanteur, décédé le 5 décembre 2017, est toujours bien vivant sur la scène musicale française. Johnny, comme vous ne l'avez jamais entendu, une réorchestration symphonique de ses plus grands tubes, sort vendredi 25 octobre. D'autres projets sont également prévus d'ici l'anniversaire de la mort du rockeur, le 5 décembre 2019. Une pratique répandue depuis plus de 30 ans dans les maisons de disque. Et Johnny n'est pas, loin de là, le seul artiste à connaître une carrière musicale posthume. 

1Pourquoi les maisons de disque capitalisent-elles sur les chanteurs décédés ?

Les albums posthumes restent le meilleur moyen pour les maisons de disque de continuer à rentabiliser un artiste. Johnny Hallyday, par exemple, est un chanteur qui a coûté cher à ses maisons de disque. Elles lui ont souvent payé des motos, des voitures, des maisons... Avec, en contrepartie, des albums à la clé qui sont vendus plus ou moins bien. Or, une fois qu'un tel artiste disparaît, les investissements cessent immédiatement. Il ne reste alors que les retours sur investissement. S'il y a des bénéfices à faire, les maisons de disques n'hésitent donc pas, pour peu qu'elles soient propriétaires des bandes de l'œuvre. C'est le cas d'Universal pour l'immense majorité du catalogue de Johnny, qu'elle se partage avec Warner.

Une réédition de l'album 1999 de Prince est également prévue pour le 29 novembre. Plusieurs albums sont déjà sortis depuis le décès du chanteur en 2016, mais c'est un scénario très différent de celui de Johnny Hallyday. Prince n'a laissé aucun testament, mais il reste en revanche une énorme quantité de produits potentiellement commercialisables. La gestion d'un tel catalogue coûte cher, c'est pourquoi les ayants droit ont besoin de faire rentrer de l'argent. Le Prince Estate (en charge de l'héritage de l'artiste) a ainsi sorti par surprise une "démo" inédite de l'un des titres de Prince, le deuxième album de l'artiste sorti il y quarante ans : I Feel For You.

Et puis, certains artistes expriment aussi leur volonté d'un album posthume. C'est le cas de Leonard Cohen, dont l'album Thanks for The Dance sort le 22 novembre. Son fils Adam Cohen, qui supervise la sortie du disque posthume, a déclaré que c'est son père qui avait lui-même déclaré : "Je veux que tu sortes cet album" avant de mourir.

2Depuis quand ce business des albums posthumes s'est-il imposé ?

La pratique n'est pas nouvelle. (Sittin' on) The Dock of the Bay, d'Otis Redding, est devenu en janvier 1968 le premier numéro 1 posthume de l’histoire des charts américains. Cette chanson n'a été publiée que quatre mois après la disparition de l'artiste soul dans un accident d'avion, en décembre 1967.

Le phénomène de la gestion de carrière post mortem s'est vraiment popularisée avec la mort du "roi du rock", Elvis Presley, le 16 août 1977. Pour son manager, le colonel Parker, Elvis était vraiment la poule aux œufs d'or. Tom Parker a d'ailleurs été le premier manager à n'avoir qu'un seul client. A la mort d'Elvis Presley, la question est donc posée au colonel Parker de savoir ce qu'il va faire maintenant que l'artiste dont il s'occupe est décédé. Tom Parker répond simplement : "Je vais continuer à manager Elvis Presley".

L'artiste n'est donc plus seulement un être humain et une personne, c'est aussi un catalogue, une somme de produits qui peuvent se vendre aussi bien, et même encore mieux, après sa mort. Car en plus de l'œuvre, le facteur nostalgie fait souvent exploser les ventes.

Dans certains cas, l'exploitation de l'œuvre d'un artiste disparu vire à l'absurde. Connu pour une reprise mythique de la chanson Hallelujah, de Leonard Cohen, le chanteur américain Jeff Buckley n'a sorti qu'un seul album de son vivant, Grace, en 1994. Pourtant, depuis sa mort en 1997, on ne compte plus les albums d'inédits à base de chutes de sessions et de versions démos 4-pistes, les lives et les compilations. Le dernier, In Transition, est sorti en avril 2019. 

3Tous les artistes acceptent-ils que leur œuvre soit exploitée après leur mort ?

Non, il existe des contre-exemples, souvent dus à l'entourage de l'artiste. Georges Brassens par exemple, peu de temps avant de mourir, laisse un cahier et une lettre à son homme de confiance, Pierre Onteniente. Dans cette lettre, il indique qu'en cas de mort brutale, les chansons de ce cahier pourront être reprises par d'autres compositeurs, tout en espérant que cela n'arrive pas. Par ailleurs, il existe beaucoup d'autres cahiers de Brassens, et ceux-là n'ont jamais été utilisés. Ses ayants droit veillent sur cette œuvre de façon à ce qu'elle ne soit jamais dénaturée, et la règle est pour l'instant respectée.

Autre exemple de ce contrôle strict de l'entourage après la mort d'un artiste : Serge Gainsbourg. Son œuvre est parfaitement gérée et surveillée par sa famille, et par l'un de ses proches en particulier. Conséquence : on ne peut pas réutiliser n'importe quoi dans la discographie de Serge Gainsbourg.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.