Cet article date de plus de six ans.

L'article à lire pour comprendre ce qui ne marche pas avec le logiciel APB

A la mi-juillet, 87 000 bacheliers n'avaient toujours pas obtenu de proposition de formation dans le supérieur. Sur le banc des accusés, la plateforme consacrée aux admissions post-bac mise en place par le ministère de l'Enseignement supérieur.

Article rédigé par franceinfo - Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des étudiants dans un amphithéâtre à l'université de Picardie Jules-Verne, à Amiens (Somme), le 24 septembre 2012. (MAXPPP)

Trois lettres qui font beaucoup parler. Malgré un taux de satisfaction de 84%, avec plus de 500 000 propositions faites aux candidats en 2017, le portail internet de coordination des admissions dans l'enseignement supérieur APB essuie des critiques continues depuis sa création, en 2009. Avec 87 000 étudiants toujours sans formation pour la rentrée à la mi-juillet, APB est à nouveau visé de toute part cette année. Franceinfo s'est penché sur son cas.

C'est quoi déjà APB ?

Derrière cet énigmatique acronyme se cache "admission post-bac", un logiciel informatique du ministère de l'Enseignement supérieur qui encadre l'affectation des élèves dans la plupart des formations de l'enseignement supérieur depuis 2009. Objectif : "Simplifier les démarches de pré-inscription (...) en regroupant sur un seul site l'ensemble des formations post-baccalauréat", annonce le site internet du portail.

Fini la multiplication des dossiers papiers, donc : les bacheliers classent directement par ordre de préférence leurs vœux de formation en ligne. L'algorithme d'APB se charge ensuite de répartir les étudiants entre les filières, en privilégiant leur premier vœu. Une fois que les bacheliers ont accepté la proposition de cursus formulée par la plateforme, les universités sont notifiées. 

Comment ça fonctionne ?

En théorie, le logiciel doit permettre à un maximum d'étudiants d'obtenir leur premier vœu. Mais lorsque les candidats sont trop nombreux pour la même formation (on parle de formation "en tension"), l'algorithme d'APB opère une sélection. Et ce, alors que le Code de l'éducation nationale garantit normalement à tout bachelier le droit à l'enseignement supérieur.

Le site "admission post-bac". (CAPTURE D'ÉCRAN)

Pour départager les étudiants, la plateforme privilégie les élèves qui ont fait de la formation "en tension" leur vœu n°1qui sont en couple et/ou ont "des personnes à charge", ou qui résident dans l'académie de l'établissement demandé. Mais s'il reste encore trop de candidats en lice, APB procède à un tirage au sort, considéré comme "injuste" pour certains, puisqu'il ne repose pas sur le mérite des étudiants.

Pour tenter de se refaire une réputation, le ministère de l'Enseignement supérieur avait dévoilé en octobre 2016 une partie du code source d'APB, qui selon certains experts, contenait une faille : il favoriserait les étudiants venus des lycées à l'étranger, puisqu'ils ne disposent d'aucune académie de rattachement.

Qu'est-ce qui cloche avec ce système ?

La plateforme est en plus sous le feu des critiques depuis la mi-juillet pour n'avoir pas réussi à attribuer de formation à près de 87 000 bacheliers après la troisième phase d'admission du site, dont certains qui ont pourtant décroché une mention très bien. L'an dernier, 30 000 ex-lycéens s'étaient retrouvés dans la même situation. Environ 9 700 étudiants laissés sur le carreau cette année avaient pourtant formulé un premier vœu dans une licence non sélective de leur secteur, identifiée sur le site comme une formation "pastille verte".

Car depuis 2016, afin de diminuer le nombre de jeunes se retrouvant sans affectation à l’issue de la procédure APB, les bacheliers généraux sont obligés de formuler au moins un vœu dans une filière universitaire "libre", qui accueille habituellement tous les candidats, rappelle Le Monde. Sur le même principe, des pastilles orange distinguent les formations "en tension", où la demande des étudiants dépasse généralement les capacités d’accueil : droit, santé, sport et psychologie, le plus souvent.

Donc tout est de la faute d'APB ?

Ce n'est pas aussi simple que ça. "APB n'est pas le problème, il prend simplement en compte les mécanismes de régulation décidés par l'Etat", souligne François Germinet, président de l'université de Cergy-Pontoise, à la tête de la commission "formation" de la Conférence des présidents d'université

Ce qui explique l'engorgement universitaire, c'est d'abord la mauvaise orientation des étudiants dans le supérieur, précise-t-il à franceinfo : "Un étudiant qui veut faire du droit et sort d'un bac STI techno, s'il y va, il échoue."

APB envoie dans nos filières générales des étudiants qui ne sont pas adaptés à ces filières-là, ce qui génère de l'échec et de l'engorgement.

François Germinet

à franceinfo

La plateforme offre pourtant aux étudiants des statistiques sur les taux de réussite en fonction de son type de bac, rappelle François Germinet. "Mais il faut que derrière cette information, il y ait une action plus prescriptive, qu'on dise aux étudiants : 'non pour cette filière-là, mais en voilà une qui te correspond mieux et permet de réaliser ton projet professionnel'."

Mais ce n'est pas aussi lié au fait qu'il y a beaucoup de bacheliers ?

En plus de l'orientation, la hausse des effectifs est effectivement aussi responsable de cet engorgement. Ces dernières années, les universités ont dû accueillir "40 000 à 50 000 étudiants supplémentaires" à chaque rentrée, rappelait Frédérique Vidal, la ministre de l'Enseignement supérieur, sur RTL le 26 juin. La situation est particulièrement tendue en 2017, puisque aux nouveaux bacheliers s'ajoutent les étudiants du supérieur en réorientation, traités sur un pied d'égalité par rapport aux jeunes ayant obtenu leur bac cette année. "C'est 150 000 étudiants supplémentaires qui ont été mis dans le système APB", a rappelé la ministre.

Pourtant, cette hausse des effectifs était prévisible, regrette Kenza Occansey, coordinateur national de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), qui assure à franceinfo que "rien n'a été fait""40 000 étudiants de plus par an, c'est deux fois ce que peut accueillir l'université de Cergy-Pontoise, souligne François Germinet. Ça ne peut pas fonctionner sans mètres carrés et sans professeurs supplémentaires."  

Dans ce cas, pourquoi ne pas augmenter le budget des universités ?

Parce que l'heure est aux économies. Après le rapport annuel de la Cour des comptes, qui pointe un trou de neuf milliards d'euros pour le budget 2017, le ministre de l'Action et des comptes public, Gérald Darmanin, a annoncé un plan d'économies de 4,5 milliards d'euros.

Le budget de l'enseignement supérieur est amputé de 180 millions d'euros, sur un total de 23,8 milliards d’euros. La majeure partie de ces crédits annulés (160 millions) toucheront des fonds qui avaient été "mis en réserve par précaution", a assuré Frédérique Vidal dans un communiqué. Les 20 millions restants ne devraient pas affecter "les moyens des universités, les programmes de recherche engagés ou les campagnes d’emploi", promet-elle.

"Si l'Etat n'est pas en mesure d'accompagner la hausse des étudiants dans le supérieur par la hausse des financements, on en prendra acte, lâche François Germinet. Mais dans ce cas, il faudra qu'il nous dise comment on doit sélectionner les étudiants."

Comment le gouvernement compte régler le problème ?

La ministre de l'Enseignement supérieur s'est prononcée plusieurs fois pour la fin du tirage au sort à l'entrée des universités et a promis qu'il ne serait pas reconduit à la rentrée 2017. Une concertation avec les syndicats d'étudiants, la conférence des présidents d'université, les recteurs d'académie et les associations de parents a été organisée lundi 17 juillet pour trouver d'autres solutions. Mais toutes les parties ne sont pas d'accord.

La conférence des présidents d'université et le gouvernement souhaitent que les étudiants puisse attester d'un certain nombre de "prérequis" nécessaires au bon suivi de la formation dans laquelle ils souhaitent s'inscrire. L'idée est que tous les bacheliers qui le souhaitent puissent étudier dans le supérieur, mais dans un cursus qui corresponde à ce qu'ils ont étudié avant. Les prérequis pourront être "le type de bac, la filière du bac, les disciplines étudiées dans la filière du bac et éventuellement les notes", précise François Germinet. 

Comment est accueillie cette solution ?

Plutôt mal. L'Union nationale des étudiants de France (Unef), principal syndicat étudiant, s'appuie sur le droit à l'enseignement supérieur et refuse toute forme de sélection dans les filières, y compris en fonction de prérequis. "On est opposé au tirage au sort comme il se fait aujourd'hui, mais on ne pense pas qu'il faille remplacer cette forme de sélection par une autre", estime Lilâ Le Bas, présidente de l'Unef, contactée par franceinfo.

La solution n'est pas de trier les étudiants à l'entrée à l'université mais de leur permettre d'accéder à la formation de leur choix.

Lilâ Le Bas, présidente de l'Unef

à franceinfo

Seule voie possible pour l'Unef : créer des places supplémentaires dans les universités pour accueillir tous les étudiants dans la formation souhaitée. Le syndicat réclame un investissement d'"un milliard d'euros chaque année pendant dix ans". Et souhaite que la première année de licence soit "pluridisciplinaire" afin d'éviter les réorientations d'étudiants obligés de se spécialiser trop rapidement. 

En attendant, on fait quoi pour les 87 000 étudiants qui sont sur le carreau ?

Depuis un mois, le ministère de l'Enseignement supérieur, en lien avec les rectorats et les présidents d'universités, effectue un travail au compte-goutte pour essayer de trouver des places en urgence. "Un certain nombre de candidats n'ont pas eu le bac donc ça se libère : on regarde au cas par cas, [on fait] un travail de dentelle (...) mais c'est très compliqué car dans certaines disciplines comme les Staps [Sciences et techniques des activités physiques et sportives], il n'y manque pas que quelques places, il en manque beaucoup", expliquait ainsi Frédéric Dardel, président de l’université Paris-Descartes, vendredi 14 juillet sur franceinfo.

Depuis le 18 juillet, les bacheliers peuvent aussi s'inscrire dans l'une des "200 000 places" restantes dans des filières qui ne sont pas "en tension", a annoncé Frédérique Vidal. Cette procédure complémentaire est ouverte jusqu'au 25 septembre. Pour aider les étudiants encore sans formation à se repérer, plusieurs organisations étudiantes ont mis en places des solutions de conseil (site internet, ligne téléphonique...).

J'ai eu la flemme de tout lire, vous pouvez me faire un petit résumé ;) ?

Le site internet "admission post-bac" (APB), qui coordonne les admissions dans l'enseignement supérieur, est critiqué pour recourir au tirage au sort entre les étudiants et laisser certains bacheliers sans affectation. Les présidents d'université et les syndicats étudiants s'accordent sur la nécessité d'obtenir plus de moyens pour accueillir les étudiants de plus en plus nombreux. Mais ils s'opposent sur les solutions à apporter pour résoudre le problème : les premiers militent pour la mise en place de prérequis pour accéder à une filière, tandis que les syndicats étudiants souhaitent une augmentation des moyens attribués aux universités pour qu'elles puissent accueillir plus de monde.

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